
L’Île-de-France, qui a formé 8 des 23 champions du monde, fournit « probablement plus de joueurs que l’Asie, l’Afrique et l’Amérique du Nord réunies ». Comment expliquer que la région parisienne soit devenue une mine d’or du football mondial ?
Paul Pogba, Anthony Martial, N’Golo Kanté, Kingsely Coman, Blaise Matuidi, Kylian Mbappé, Riyad Mahrez, Yacine Brahimi… On ne compte plus les stars du football international issues d’Île-de-France. « Il y a près des dix ans, Arsène Wenger considérait la région parisienne comme le meilleur vivier de talents footballistiques après São Paulo, au Brésil. Aujourd’hui, Paris se trouve très certainement à la première place », résume Simon Kuper, journaliste britannique qui s’est fait connaître outre-Manche pour ses analyses quasiment « anthropologiques » du football.
Car le phénomène intéresse les sélectionneurs, mais aussi les sociologues, les anthropologues, les formateurs… Pour certains, la clé du mystère réside dans le célèbre « city stade », ces terrains de foot en bitume présents dans la plupart des quartiers franciliens. « Ce petit terrain est capable de contenir une opposition maximale de 5 contre 5. Sauf qu’il y a 50 gamins qui veulent jouer en même temps (…) Du coup, tu joues avec les crocs, tu ne veux pas sortir parce que après pour rejouer il faudra attendre une heure », explique à l’AFP Mohamed Coulibaly, directeur sportif de l’AAS Sarcelles.
Pour le coach et directeur sportif, la concurrence reste le meilleur des sélectionneurs. Sur le city stade, « le petit gabarit, quand il joue contre le grand qui est plus costaud, doit faire preuve d’imagination, d’inventivité pour pouvoir s’en sortir donc ça développe des joueurs qui ont un discernement au-dessus de la moyenne, un sens de l’adaptation aussi, et un œil du Tigre ».
« L’Île-de-France est à la jonction de différents mondes de la planète football » pour Bakari Sanogo
Mohamed Coulibaly souligne aussi une donnée essentielle : la précarité dans les nombreux quartiers de la région parisienne pousse de nombreux jeunes à voir dans le football une voie d’excellence pour exister socialement, voire professionnellement. « Le côté banlieusard, c’est l’affirmation de soi, faire sa place, gagner le respect. Mais c’est surtout sortir de là en fait ».
Alors que les départements de la région parisienne sont davantage frappés par la précarité (le taux de chômage atteint 19 % en Seine–Saint-Denis, contre 8,9 % au niveau national), le football est l’un des seuls « moyens de monter dans l’échelle sociale », confirme le coach.
Et les joueurs le confirment : « Que ce soit à l’école ou dehors, dans le quartier, tout le monde joue au foot. Et ça permet aux gens de ne pas traîner dans le quartier à ne rien faire ou à faire des bêtises », confiait justement Paul Pogba à Simon Kuper.
Le phénomène est de portée mondiale. A elle seule, l’Île-de-France fournit « probablement plus de joueurs que l’Asie, l’Afrique et l’Amérique du Nord réunies », estime le média américain ESPN. Une situation qui s’explique donc par la sociologie particulière de la région, mais aussi par la place particulière de Paris sur la planète football : « L’Île-de-France est à la jonction de différents mondes de la planète football : connectée à la fois à l’Afrique et aux Antilles de par une partie de sa population, elle est aussi pleinement connectée aux autres métropoles européennes » analyse Bakari Sanogo, agent de joueurs « Cette situation fait de la région parisienne la clef de voûte de toute une partie de l’économie du football et de la carrière de nombreux joueurs, français ou étrangers ». Un exemple de ce type de trajectoire : Moussa Sissoko, justement accompagné de longue date par Bakari Sanogo, est né au Blanc-Mesnil, formé en partie au Red Star et joue désormais à Londres à Tottenham.
Le résultat d’une politique publique particulière
L’Île-de-France est également riche d’incroyables talents développés grâce à des structures publiques efficaces. Depuis une trentaine d’années, les communes, les départements, la région et l’État ont déployé une politique sportive ambitieuse en Île-de-France essentiellement tournée vers le football. « Un vrai effort politique a été fait en région parisienne et dans les quartiers sur les infrastructures sportives », reconnaît Mohamed Chacha, éducateur au Havre. Des stades, du matériel et surtout un soutien financier apporté aux nombreux clubs de « petites » divisions.
Enfin pour Yves Gergaud, responsable de recrutement en post-formation à Sochaux, « la mixité fait la force de l’Île-de-France ». Sans oublier la persévérance et la solidarité : « Le foot s’apprend très, très tôt et par la répétition. À force de jouer, jouer et encore jouer, le jeune développe le talent. Et en région parisienne, il y a beaucoup de clubs pour rendre ce talent moins individualiste et plus collectif ».
Quel que soit le secret de la région, cela fonctionne. En 2018, l’équipe de France comptait huit Franciliens, contre seulement deux en 1998. Selon un décompte de l’Équipe, la région parisienne est surreprésentée en huitièmes de finale de la Ligue des champions : 24 joueurs en sont issus, contre 14 provenant de la région allemande de la Ruhr, 13 de São Paulo, 12 de Madrid, 11 du Bade-Wurtemberg (Allemagne) ou encore 9 de Buenos Aires (Argentine).