
Nicole Belloubet souhaite créer l’infraction de « viol à distance ». Objectif louable, mais en parfaite déconnection avec l’opinion du pays réel. Cet énième effet d’annonce masque l’indigence d’une justice en France qui ne s’occupe pas des Français et ne leur assure pas un cadre de vie apaisé. Un bref constat de la politique pénale donne la mesure de ce décalage entre communication et action.
Depuis les années 70, l’affaiblissement de l’autorité de l’Etat a été accompagné par celui de la justice pénale.
Cette tendance est paradoxalement inverse à l’évolution de l’arsenal répressif au plan législatif.
Car au fond, à part quelques alignements liés l’évolution de la société (peine de mort, IVG), la loi pénale, c’est à dire les incriminations et l’échelle des peines, a été renforcée. Autrement dit, des infractions nouvelles ont été crées, et les peines encourues ont été augmentées. De même les conditions d’exécution des peines ont été aggravées. Ainsi les peines de sûreté (délai à partir duquel une peine peut être aménagée) ont été allongées.
Certes les cas d’aménagements de peine ont été multipliés par un certain nombre de textes. Mais il faut rappeler que c’est encore un juge qui aménage.
Alors que s’est-il passé pour que sauf exception, notre justice donne le spectacle d’une mansuétude persistante à l’égard des délinquants ?
Les effets de 1968 chez certains magistrats ont certainement pesé dans cette évolution. Il est encore de bon ton ici ou là d’expliquer l’explosion de la délinquance par les conditions économiques et sociales dégradées. Ce sont les mêmes raisons qui président parfois au prononcé de sanctions insuffisantes.
Mais aujourd’hui, la majorité des juges sont en phase avec l’opinion qui demande une répression accrue.
Pour autant, cette demande de fermeté est sans effet.
On a raison de pointer le manque de places de prison. Parfois le juge écarte cette solution pour cette raison précise. Il ne le dira jamais dans son jugement, mais il en tient compte.
La raison des dysfonctionnements, c’est que le juge n’a au fond pas vraiment le choix, entre la prison ferme et la liberté plus au moins contrôlée.
Depuis des décennies, on constate un retard inadmissible dans la construction de prisons, couplé à une faiblesse insigne des moyens donnés au services chargés du suivi des condamnés en liberté.
Certains pays du nord de l’Europe mettent en oeuvre des moyens considérables pour l’emprisonnement en cellule individuelle (faut-il rappeler que c’est un droit ?) et le suivi personnalisé des condamnés en liberté. Ces politiques pénales sont efficaces.
Le juge français opte, s’agissant de la moyenne délinquance, pour la prison ferme parce qu’il sait qu’un aménagement est possible en deçà de deux ans de prison, ou pour une peine assortie du sursis avec mise à l’épreuve, en espérant que le système suivra. Pire, il choisit parfois le sursis simple (donc sans suivi judiciaire), pour ne pas surcharger le service de l’application des peines…
C’est la réalité de la justice pénale dans notre pays.
Mais il y a plus.
D’abord les moyens de la justice en France sont indignes d’un pays développé ; on ne peut pas admettre que notre pays consacre à sa justice, hors service pénitentiaire, un budget qui la place en queue de peloton dans l’Europe élargie. Ce budget équivalait il y a quelques années à celui de la seule aide juridictionnelle au Royaume Uni. La France se paye même le luxe de se placer derrière la Russie et la Turquie !
Ensuite notre pays néglige, maltraite devrait-on dire, sa justice. Qualifiée constitutionnellement d’« autorité judiciaire », elle n’est même pas un « pouvoir », comme le sont le parlement et l’exécutif. C’est l’héritage du Général De Gaulle, qui se méfiait des juges. Et qui a su si bien pratiquer la justice d’exception pour maintenir l’ordre.
Le pouvoir actuel n’a pas rompu avec cette politique; il entretient cette servilité de la justice
Une justice pauvre interdit absolument l’émergence d’un « pouvoir judiciaire ».
L’Ecole Nationale de la Magistrature est en réalité une curiosité. Les observateurs étrangers ne comprennent pas comment un Etat peut éduquer ses juges.
Chez nous le corps des procureurs n’est pas indépendant. Ce sont des magistrats, notés par les chefs de juridiction, les procureur et procureurs généraux ! La place Vendôme continue à piloter certaines affaires pénales tout en prétendant qu’elle ne donne aucune instructions à ses procureurs. Il faut être naïf pour y croire.
Les juges quant à eux sont également notés, par leur président ou premier président de cour d’appel. Cette notation pèse lourd dans l’avancement…
Dernier effet délétère dans le corps de juges ; l’instrumentalisation permanente de la justice par le pouvoir les convainc, comme le français moyen, qu’il y a deux justices.
Car il y en a bien deux, dès lors que le politique pèse substantiellement sur l’initiative des poursuites et leur conduite.
Faut-il rappeler l’affaire Fillon, où le parquet est pré positionné à l’annonce du Canard Enchaîné pour diligenter une enquête le jour même de la révélation de l’hebdomadaire ; la cellule constituée par Nicolas Sarkozy à la Chancellerie pour abattre Dominique de Villepin dans l’affaire Clearstream ; le rappel à la loi de Madame Lagarde pour un délit de complicité dans l’affaire de l’arbitrage Tapie, etc. ?
Le juge lambda sait qu’il ne fait pas partie de ce monde-là. Et que la gestion de sa carrière importe plus que s’emparer d’un cas pour défendre son serment et faire triompher, à sa mesure, la Justice.
Alors Madame Taubira ou Madame Belloubet auront pu annoncer réformes et plans justice ; elle se bornent à des effets d’annonce, tandis que le cours de l’indigence judiciaire nationale coulera gentiment jusqu’à ce que le peuple n’en puisse plus.
Donc l’élection des juges est parfaitement opportune pour faire le ménage dans cette corporation, à raison d’au moins 50%