
L’UE en désaccord sur le projet des obligations européennes
Les corona bonds reprennent l’idée d’une mutualisation des dettes des pays membres de l’UE afin de lutter contre le ralentissement économique européen et davantage soutenir les pays les plus touchés par la crise. Ce mécanisme est, notamment, soutenu par l’Italie et la France. A l’inverse, les pays du nord sont contre la mesure, Allemagne et Pays-Bas en tête.
Jusqu’à présent, huit pays sont pour le principe d’une dette européenne commune : la France, l’Italie, l’Espagne, la Grèce, l’Irlande, la Belgique, le Luxembourg, le Portugal et la Slovénie. Ces obligations financières pourraient être contractées par la BEI (Banque Européenne d’Investissement), et servirait notamment à financer des installations de santé dans les pays débordés par la pandémie.
Angela Merkel propose, quant à elle, d’utiliser le Mécanisme Européen de Stabilité (MES), afin de venir en aide aux pays membres de la zone euro en difficulté, sans toutefois mutualiser les dettes. Le MES permet, par exemple, de prêter à un pays à des taux inférieurs à ceux du marché. Mais, tout comme le fonctionnement du FMI (Fonds monétaire international), les prêts s’accompagnent d’une obligation de réformes d’importance du pays emprunteur.
Toutefois, la France et les pays du sud de l’Europe demandent à ce que ce mécanisme soit simplifié, et n’entraîne pas de contreparties, lourdes et longues à mettre en place dans un contexte de crise telle que celle que vit l’Italie. Un débat identique avait eu lieu entre le nord et le sud de l’Europe, lors de la crise financière qui avait frappé la Grèce, avec un pic en 2015. Il était alors question des « euro bonds ».
Selon Carlos Costa, gouverneur de la Banque du Portugal, l’échec de cette proposition pourrait laisser des « cicatrices permanentes sur le projet européen » [Reuters]. Certains acteurs de l’union soutiennent de même ce projet : Christine Lagarde, présidente de la BCE, a indiqué quelle soutenait l’idée de la création exceptionnelle d’obligations européennes.
Le manque de cohésion européenne nous rappelle l’existence de quatre Europes distinctes
Cette incohésion européenne est, parmi tant d’autres, un révélateur de la nature réelle de l’Europe. Si l’idéologie de l’UE met en avant une Europe entièrement unie et partageant, dans son ensemble, des valeurs communes, la réalité est toutefois plus nuancée.
Ainsi, l’observation des groupes d’influence, au sein même de l’Europe, laisse apparaître quatre entités qui forment, de manière plus naturelle, des groupes cohérents. Que cela soit politiquement, culturellement, et même en termes de civilisations.
L’Allemagne est l’un des centres de l’Europe. Son espace d’influence, communément appelé Mitteleuropa, ou « Europe du Centre », est constitué principalement d’un ensemble d’interdépendances économiques, culturelles et politiques. Pendant des siècles, l’Allemagne a constitué le géant d’Europe Centrale, l’équivalent des Etats-Unis pour l’Europe de la 2e moitié du XXe siècle. Les communautés allemandes, présentes durant des siècles sur les rives polonaises, dans les pays baltes, ou jusqu’en Roumanie, ont façonné la culture dominante de cette région d’Europe. De nos jours, cette région est un ensemble économique cohérent, qui constitue la puissance économique et l’influence politique de l’Allemagne en Europe. Si cet ensemble n’est pas officiel, il reste pour autant l’une des principales structures de l’Europe actuelle.
En subdivision de cette Mitteleuropa, le groupe de Visegrad, s’il reste économiquement dépendant de l’Allemagne, tend à s’en différencier au niveau politique et civilisationnel. On remarque, depuis quelques années, un front commun de la Pologne, de la Hongrie, de la République Tchèque et de la Slovaquie sur les questions migratoires, de souverainetés nationales, et le développement des « démocraties illibérales », c’est-à-dire des démocraties qui n’adhèrent pas aux valeurs des sociétés ouvertes occidentales. Son nom a pour origine une alliance anti-Habsbourg ayant été fondée au XIVe siècle, entre les rois de Pologne, de Hongrie et de Bohème.
La Nouvelle Ligue Hanséatique, créée en 2018 par le Danemark, la Finlande, la Suède, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, l’Irlande et les Pays-Bas, ressuscite la vieille Hanse, une alliance commerciale et militaire qui avait été dissoute au XVIe siècle.
Cette alliance de l’Europe du Nord, profondément libérale, constitue aujourd’hui un important groupe d’influence au sein de l’UE, qu’elle appréhende principalement d’un point de vue marchand. Économiquement, elle se fait le chantre de l’austérité.
Enfin, l’EuroMed 7, constitue un groupe informel regroupant la France, l’Espagne, l’Italie, le Portugal, la Grèce, Malte et Chypre. Datant de 2016, cette alliance des pays de culture gréco-latine s’est bâtie autour du projet de promouvoir des politiques de relance économique au niveau de l’UE.
Ce groupe prône davantage de mutualisation des systèmes économiques et sociaux européens. Des prises de positions communes au sujet de l’immigration et de la Défense sont aussi recherchées. Du fait de son positionnement à la fois au Nord et au Sud de l’Europe, la France est généralement considérée comme la porte-parole de ce groupe, notamment vis-à-vis de l’Allemagne.
Ainsi, la doctrine officielle d’une UE unie ne doit pas faire oublier quels sont les principaux groupes d’influence qui constituent l’Europe actuelle. En outre, la crise existentielle qui ne manquera pas d’advenir demain au sein de l’UE, lorsque la crise du coronavirus sera passée, pourrait renforcer encore davantage ces collusions d’intérêts inter-européens. Il viendra peut-être un temps où l’Union européenne laissera place à trois, ou quatre unions dissemblables dans leurs aspirations. Quoi qu’il en soit, ces unions informelles sont déjà une réalité, et ce sont leurs luttes d’influence qui orientent désormais les futures politiques générales de l’Union européenne.
Fait moi d’abord une économie pour tous forte et ensuite, ensuite seulement je te ferais une société solidaire.