
L’histoire du Ruanda-Urundi, ancienne colonie allemande, montre à quel point la vision occidentale de l’Afrique a pesé sur l’histoire de la sous-région.
Cette zone avait traditionnellement une structure ethnico-clanique particulière, puisque les Tutsi, éleveurs, tenaient le pouvoir grâce à une monarchie à l’histoire longue. Les Hutu, agriculteurs, très largement majoritaires, et la minorité Twa d’artisans (issus de la population pygmée), subissaient ce système féodal où cependant on pouvait, en fonction du mérite, accéder à la caste aristocratique et ses relais de pouvoir. Ainsi un Hutu pouvait être assimilé Tutsi. On pourrait comparer le mécanisme à celui de la monarchie française dans laquelle « l’ascenseur social », l’accession au statut de noble se faisait en fonction du mérite, militaire, social, etc. Un roi, le Mwami, régnait.
Dans ce contexte, l’Allemagne s’est naturellement reposée sur le groupe dominant tutsi, pour ne pas employer les termes -inadéquats au cas d’espèce- d’ethnie ou de race. Elle y a trouvé là un moyen commode d’administration territoriale.
Les Tutsi ont été alors considérés par la population comme les maîtres de cette sous-région lors du dépeçage d’Empire colonial allemand après la première guerre mondiale.
La Belgique faisait le choix de réserver les postes dans l’administration aux seuls Tusi, premier facteur de radicalisation avec les Hutu, qui perdaient alors tout espoir d’ascension sociale.
La majorité Hutu en conçu une rancoeur qui accentuera très substantiellement les oppositions ethnico-sociales, de sorte que dès les années cinquante, des massacres inter-ethniques se produisaient sporadiquement. S’y associait naturellement la revendication d’indépendance des années soixante. La Belgique, suivie par l’Eglise catholique, très présente, optait alors pour un brutal renversement d’alliance en faveur des Hutu. Cette politique, consistant à attribuer tous les postes de responsabilité aux Hutu, eut pour effet d’aggraver les antagonismes ethniques. C’est elle qui provoqua les premiers grands massacres de Tutsi et une nouvelle vague d’émigration dans les pays limitrophes.
L’État Belge et l’Eglise Catholique laisseront le pouvoir hutu éradiquer en force la bourgeoisie tutsi, et particulièrement sa monarchie, se prévalant des massacres de hutu perpétrés au début des années soixante-dix au Burundi, le pays jumeau. Le président Juvénal Habyarimana institua alors un régime de parti unique, naturellement réservé aux Hutu et facilitera encore les massacres de Tutsi.
Minoritaires, l’élite politique tutsi vivra en exil dans les pays voisins dont la Tanzanie et l’Ouganda.
A mesure que le Ruanda s’enfonçait dans l’insécurité et la corruption sous le régime Habyarimana, la diaspora tutsi se renforçait aux plans politique et social ; ainsi Paul Kagame, dont une tante a été l’épouse du roi Mutara III, vivra très tôt réfugié en Ouganda et suivra une scolarité anglo-saxonne.
Tous les indicateurs montraient que la fin du régime Habyarimana (1973/1994) était proche ; le président accélérait sa politique de répression des Tutsi, avec une réthorique classique à l’encontre de l’ennemi de l’intérieur soutenu par l’ « étranger ».
C’est pourtant dans ce contexte que la France, prenant la place de la Belgique qui renonça à son influence, apportait un soutien marqué au régime, notamment sur le plan militaire, à partir de 1990, lors des premières incursions du Front Patriotique ruandais (FPR) dans le nord du pays.
La France tenait alors au bout de bras un régime qui faisait le malheur de son peuple et exacerbait la volonté de revanche de la diaspora tutsi.
Il est de fait que lorsque le FPR commença ses incursions par le nord-est l’armée française, en charge de l’ « instruction » de l’armée ruandaise, devint en réalité la seule aide opérationnelle pour le régime. Des militaires français apporteront leur concours sur le terrain, sous couvert de l’opération Noroît. Après l’échec patent de la MINUAR, la France interviendra de nouveau en plein massacre dans le cadre de l’opération Turquoise.
La mission d’information parlementaire sur le Rwanda présidée par Paul Quilès rendra un volumineux rapport pour dédouaner le rôle de l’armée française, à laquelle Paris n’avait pas donné d’instructions claires pour mettre fin aux massacres des Tutsi. Notre armée s’affrontera directement avec le FPR, accompagnera la fuite des génocidaires et de dignitaires du régime au Zaïre. On sait aujourd’hui, 25 ans plus tard, grâce aux témoignages de militaires aujourd’hui en retraite, que l’armée française couvrira même des convois d’armes à destination des forces Hutu, pendant le génocide.
Ce soutien laissera des traces indélébiles pas seulement chez les Tutsi, mais également au sein de la population Hutu qui a également souffert de cette guerre civile.
Paul Kagame a certainement la rancune tenace. Il a remis son pays sur pied, interdit toute référence aux notions de Tutsi et Hutu (la carte d’identité ruandaise mentionnait ces qualités), après avoir organisé le procès des génocidaires et mis en place une réconciliation réussie.
Mais le pays a alors tourné définitivement le dos à ses tutelles belge et française, cette dernière refusant encore aujourd’hui d’admettre ne serait-ce que des erreurs.
Ainsi le Ruanda adoptait l’anglais comme langue officielle en 2003.
Emmanuel Macron a appuyé la nomination en octobre 2018 de Mme Louise Mushikiwabo, ministre ruandaise importante, francophone, en qualité de secrétaire générale de l’Organisation Internationale de la Francophonie. On peut y voir en creux une sorte de compensation des fautes passées.
Certes la langue anglaise a des atouts que le français n’a pas, mais il est affligeant de voir un pays, dont la langue administrative et culturelle était la notre, tourner radicalement le dos à cet héritage.