
Jean Raspail est mort, ce samedi 13 juin. Écrivain de talent dont les prophéties littéraires dépeignaient, dans un style acéré, la submersion de l’Europe et la chute de sa civilisation, Jean Raspail était avant tout un amoureux des peuples enracinés et du combat pour leur existence.
Le Camp des Saints restera son œuvre majeure. Pour une raison : il avait eu, à travers cet écrit, l’intuition de la chute. Dans les années 70, l’Occident était au sommet de sa puissance. Après le génie de la conquête, les Européens avaient eu l’intelligence de la décolonisation. Évitant brillamment le sort de la plupart des empires historiques, les Occidentaux avaient réussi à ne pas entrer en décadence en croulant sous le poids de leurs propres conquêtes. Dominants politiquement et économiquement, les masses humaines des empires ne représentaient plus une menace. De Gaulle lui-même avait réglé la question de l’éventuelle survenance de « Colombey-les-deux-mosquées » en lâchant l’Algérie, alors même que les armées françaises y avaient été entièrement victorieuses, et que davantage d’Algériens avaient combattus dans les rangs français qu’au sein du FLN.
Alors que la France constituait l’un des piliers de cette gloire occidentale, Jean Raspail fut pris, un jour, en regardant la mer, par un sentiment à la fois angoissant et fascinant : « et s’ils arrivaient ? ». De cette simple question naîtra l’œuvre magistrale qu’est le Camp des Saints, autopsie des démons qui commençaient à ronger l’Occident, et qui allaient, décennies après décennies, émerger au grand jour. Et cette faillite de l’Occident est d’une simplicité extrême : l’Occidental n’est plus prêt à tuer pour défendre sa terre. Cela, Jean Raspail l’avait bien compris, puisque le Camp des Saints met en scène « l’invasion des faibles », tellement facile à repousser, mais que l’Occidental ne repoussera pas. Par faiblesse, maquillée de générosité. Car, au moment de périr, c’es encore la douce France, ou encore le grandiose Occident que le pauvre hère actuel aura en mémoire, lorsqu’il repensera à toutes ses occasions manquées de protéger ce qui lui était cher.
Mais Jean Raspail traitait aussi la question du refus de la transmission. C’était le sujet culminant d’une autre de ses œuvres : Sept cavaliers quittèrent la ville au crépuscule par la porte ouest qui n’était plus gardée. Dans ce livre, Jean Raspail met en scène une troupe de soldats restés fidèles à leur souverain, le margrave héréditaire. Au sein d’un royaume en délitement, duquel la vie semble s’échapper, les sept cavaliers ont pour mission de comprendre ce qui entraîne ainsi la mort de leur pays. Trois causes apparaissent alors au lecteur : la première est le rejet de la hiérarchie. Cette hiérarchie sans laquelle aucun ordre n’est possible, aucune épopée, ni aucun destin. Ensuite, le refus de la transmission : la jeunesse du royaume ne souhaite plus porter l’héritage de ses aînés. Ce qu’ils ont bâti, ils le détruisent. Ce qu’ils ont révérés, ils l’abaissent. Ce pour quoi ils sont morts, ils le souillent. Enfin, la dernière des causes est le refus d’admettre que l’Autre puisse être un ennemi. Alors que le vieux soldat jure, par tous les saints, qu’il sait, lui, que l’ennemi n’a pas été brisé, et qu’il reviendra secouer l’ordre du royaume, ses camarades se rient de lui. Lorsque les troupes des immensités de la steppe et des déserts du sud s’apprêtent à fondre sur le royaume, il est déjà trop tard. La vie a pris racine ailleurs.
Mais Jean Raspail, c’était aussi l’espoir fou. Tout d’abord, l’espoir que la mémoire d’un peuple puisse être sauvée. Celle des Mapuches, en Araucanie et en Patagonie, qui sortirent de l’oubli dans Qui se souvient des hommes…, et Moi, Antoine de Tounens, Roi de Patagonie. Mais aussi l’espoir de voir l’ordre naturel renaître au sein d’une France grisâtre, égalisée, aseptisée et abaissée par la froide bureaucratie républicaine. Dans Sire, Jean Raspail imaginait le retour du Roi de France, jeune adolescent se rendant à Reims à cheval afin de s’y faire sacrer et restaurer l’antique royaume de Saint-Louis.
Dans la France déliquescente, revendicatrice et égoïste qui s’offre à notre regard, il est parfois bien dur et cruel de rêver des gloires et des vertus de notre anciennes patrie. Alors, il nous faut réveiller le sang qui persiste à bouillonner dans notre cœur, et suivre le conseil de Jean Raspail :
« Quand on représente une cause (presque) perdue, il faut sonner de la trompette, sauter sur son cheval et tenter la dernière sortie, faute de quoi l’on meurt de vieillesse triste au fond de la forteresse oubliée que personne n’assiège plus parce que la vie s’en est allée. »
Votre texte en forme d’éloge tout en retenue nous éloigne de la dithyrambe qui sévit si souvent.
A tel point que j’aurais plaisir à le relire. Avec mes remerciements.