
Voilà la question posée au Conseil supérieur de la magistrature (CSM) par le chef de l’Etat ; c’est en tout cas la formulation donnée par le site de la Présidence de la République.
« Garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire, le Président de la République a décidé ce jour de saisir, pour avis, en application de l’article 65 de la Constitution, le Conseil supérieur de la magistrature en sa formation plénière, sur le fonctionnement de la justice dans l’affaire de M. François FILLON suite aux propos tenus le 10 juin dernier par l’ex-procureure nationale financier devant une commission d’enquête parlementaire. Ces propos, qui ont suscité un émoi important, sont interprétés par certains comme révélant d’éventuelles pressions qui auraient pu être exercées sur la justice dans une procédure ouverte à un moment essentiel de notre vie démocratique. Il est donc essentiel de lever tout doute sur l’indépendance et l’impartialité de la justice dans cette affaire. Le Président de la République a demandé au CSM d’analyser si le parquet national financier a pu exercer son activité en toute sérénité, sans pression, dans le cadre d’un dialogue normal et habituel avec le parquet général. »
L’article 65 définit les missions du CSM, dont l’essentiel consiste à nommer les magistrats du siège et du parquet et assurer la discipline chez les magistrats. Et très secondairement, peut rendre les avis que lui demande le président. Inutile d’y revenir si ce n’est pour rappeler que ce haut magistrat à évoqué les « pressions » du parquet général pour ensuite préciser que ces pressions étaient limitées à des demandes d’information…
On peut d’abord s’interroger sur les motivations réelles de notre président qui prend prétexte des déclarations tout aussi alambiquées que maladroites de Madame Helouette, chef du Parquet National Financier (PNF) devant la commission d’enquête due l’Assemblée Nationale. C’est d’abord un contre-feu, puisqu’il ne faisait en réalité aucun doute que le CSM n’admettrait jamais que l’indépendance de la magistrature avait été menacée. De sorte que les membres du CSM ne pouvaient que réfuter les accusations liées aux pressions du pouvoir, et, partant, absoudre celui-ci de toute basse manoeuvre lors des élections présidentielles.
Cette initiative ressemble fort à un acte manqué, dans le sens où la complicité des autorités pour favoriser Emmanuel Macron versus François Fillon dans le débat électoral est en réalité la question centrale, sans quoi cette demande d’avis est sans intérêt.
Rappelons que le PNF est une structure très originale dans l’organisation judiciaire française. En principe, l’architecture du parquet c’est parquet général (un par Cour d’appel) et parquet du Tribunal Judiciaire (ex-TGI). C’est le 1er janvier 2014, dans les suites de l’affaire Cahuzac, qu’a été mis en place le PNF, chargé de la répression des affaires liée à la « grande délinquance économique et financière ». On voit là que l’affaire Fillon n’a évidemment rien à voir avec cette grande délinquance. Le jour même de la parution le 25 janvier 2017 de l’article du Canard Enchaîné, le PNF se saisit et ouvre une enquête. Qui peut imaginer une seconde, dans le contexte hautement politique et sensible, que cette saisine s’est faite d’initiative, autrement dit que le chef du PNF a pu prendre seul cette décision ?
Passons au contenu de l’avis du CSM : le CSM a entendu les représentants du parquet national financier, ce qui se conçoit, mais aussi du parquet général près la cour d’appel de Paris, de la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) et de membres du cabinet de l’ancien garde des sceaux. Autrement la chaîne de commandement du PNF.
« Une attention particulière a pu être portée, à tous les échelons de la chaîne hiérarchique, à une affaire comportant un enjeu démocratique majeur, mais cette attention n’a conduit le pouvoir exécutif ni à formuler la moindre instruction à l’adresse de l’autorité judiciaire, ni même à solliciter des remontées d’informations dans une mesure dépassant substantiellement la pratique usuelle. » Comme c’est délicat. Pas d’ « instruction », évidemment puisque c’est interdit par la loi, et pas de demande de remontée d’information substantiellement plus importante que d’habitude…
Le reste du laïus ne trompe personne.
Le comble est atteint lorsque le CSM suggère qu’une réflexion de développe sur la nécessité d’aligner le statut du parquet, en matière de nomination et de discipline, sur celui des magistrats du siège. Au-delà du fait qu’il n’est pas admissible que le parquet soit hiérarchisé -la question fait en effet débat depuis longtemps-, le CSM fait là une observation qui ne coûte pas cher, et qui rejoint, comme par hasard, un des chantiers de la Chancellerie.
Cette dernière observation du CSM est sans doute le produit d’un débat interne, initié par certains nombre de ses membres qui ne pouvaient pas se satisfaire de conclusions lénifiantes.
L’absence d’indépendance du parquet dans notre pays est probablement la principale cause de la défiance de la population dans sa Justice. Le procureur est considéré chez nous comme le chef de la répression institutionnelle, qui produit objectivement une justice à deux vitesses.
On aimerait que Eric Dupont-Moretti, rompu à la confrontation avec le parquet, initie une réforme courageuse de notre système judiciaire archaïque. Mais il faudrait qu’il en ait les moyens, et que nos citoyens aient une conscience aigüe du caractère impérieux de cette réforme. Nous en sommes loin.