Cadeau empoisonné ? « Le dernier cadeau du Général » de J-M Apathie

Il faut une sacrée dose de cynisme, d’ignorance ou de fausse naïveté pour prétendre, comme le fait Jean-Michel Apathie dans son dernier ouvrage, que la réforme constitutionnelle de 1962, adoptée par référendum, est un cadeau du Général De Gaulle. J-M Apathie admet que cette réforme a été obtenue par De Gaulle à l’encontre de la majorité de la représentation nationale. Et il la justifie au fond parce que la France ne pourrait être dirigée que par un « chef ».

Un hold-up constitutionnel plébiscité 

La Constitution 1958 était déjà intrinsèquement peu démocratique puisque l’organisation des pouvoirs publics privilégiait largement le gouvernement. Y ajouter l’élection du président de la république au suffrage universel ne pouvait que concentrer définitivement le pouvoir entre les mains de l’exécutif. De Gaulle ne risquait au fond pas grand chose puisque les Français ne lui demandaient d’abord de régler la question algérienne, sur laquelle la Quatrième République avait échoué. Cette question était cruciale parce que la guerre d’Algérie était une plaie à refermer en urgence.

Non pas que la Quatrième République ait été un régime inefficace, puisqu’elle a été capable d’accompagner le formidable essor économique de la France après la deuxième guerre mondiale. Les multiples renversements de gouvernements n’ont  que peu amoindri l’action de la haute administration publique, qui restait active malgré les jeux de chaises musicales ministérielles. 

Mais le Général avait un projet à sa mesure ; une système institutionnel fait à ses mensurations et qui ferait émerger un homme déterminé capable de dominer le marais parlementaire.

Le terreau du jacobinisme

Les Français ont les défauts de leurs qualités. Ils foisonnent d’idées, adorent le débat, priment les héros, sont rétifs à l’autorité mais demandent de l’ordre et du confort. Dans ce contexte, leur inclination balance entre un refus des règles et le besoin d’un État fort. Il n’est donc pas facile de les contenter au plan institutionnel. Sous la monarchie, le pouvoir des provinces assurait des espaces de particularismes propices aux libertés locales. On rappellera que les Rois de France devaient tenir lit de justice dans les parlements provinciaux rétifs à leurs édits, lorsqu’ils voulaient imposer l’effectivité de leurs décisions dans chaque province. La puissance des provinces était telle que le premier objectif de la révolution jacobine, suivie par l’Empire napoléonien, a été de supprimer les parlements et ainsi d’atomiser les territoires en une multitude de départements. 

Une concentration du pouvoir

Une fois éradiqués les particularismes, il fallait donner à la France un régime institutionnel susceptible d’assurer aux nouveaux tenants du pouvoir, les grands bourgeois. Les interminables hésitations sur la nature du régime politique, monarchie ou république, ont favorisé l’émergence de régimes parlementaires épisodiques, remplacés par des restaurations plus ou moins réussies. Le second Empire, pragmatique, a laissé monter en puissance les prémices de la démocratie parlementaire française. Droit d’association et libéralisme économique ont permis l’émergence du grand compromis de la troisième république. Laquelle devenait république presque par surprise, à la faveur du fameux amendement Wallon. S’en suivait un longue période qui assurait une stabilité politique proprement extraordinaire, capable de surmonter le premier conflit mondial, l’affaire Dreyfus, la dépression de 1929 et la crise de 1936, et ce jusqu’en juillet 1940.

C’est l’assemblée nationale qui offrira à De Gaulle le pouvoir de préparer la constitution de 1958. Cette constitution opérait une mutation institutionnelle forte, caractérisée par une prééminence des pouvoirs du président de la république. Le sytème était mi-présidentiel et mi-parlementaire, ne tranchant pas officiellement entre les modèles classiques du droit constitutionnel. Le pouvoir exécutif passe alors au président de la république, de sorte que le premier ministre n’a plus l’autorité du feu président du conseil. La stabilité du gouvernement est assurée par un dispositif rendant extrêmement difficile son renvoi par l’assemblée nationale. Le général-président disposait dès lors de l’essentiel du pouvoir.

L’adoption par référendum en 1962 de la réforme constitutionnelle prévoyant l’élection du président au suffrage universel, on le sait contre l’avis des membres du conseil constitutionnel qui se déclarera cependant incompétent pour juger de sa conformité à la constitution, donnera les pleins pouvoir au Général. C’est le cadeau du Général à la France. Ne serait-ce pas  plutôt le cadeau des Français au Général ?

Une constitution caméléon

Une constitution est faite pour assurer la stabilité de l‘organisation des pouvoirs. C’est le corpus légal majeur qui doit être une règle immuable, à l’abri des fluctuations politiques et de l’actualité. 

Pour autant, celle de 1958 n’a jamais cessé d’être modifiée au gré des majorités présidentielles. Le système électoral présidant aux élections législatives est assis sur le scrutin uninominal majoritaire assure la constitution d’un bloc majoritaire fort, que les élections partielles n’ont jamais remis en cause. Il suffit d’une loi organique, adoptée par les deux chambres, pour modifier le système électoral. Le dernier coup est donné lorsque fut décidée la réduction de la durée du mandat présidentiel à cinq ensuite combinée à l’inversion de calendrier électoral de la chambre des députés. Mécaniquement, ces élections doivent se tenir dans les suites de l’élection présidentielle. De sorte que le président se retrouve automatiquement soutenu par une majorité solide. Une majorité godillot avalisera l‘essentiel des décisions du président.

Ainsi lorsqu’un président cumule tous les pouvoirs sans réelle opposition parlementaire, le peuple qui n’a plus la parole pendant cinq ans en est réduit à manifester dans la rue. Ce pourquoi la manif est devenue un mal typiquement français. C’est le cadeau du Général.

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A propos de l'auteur Thierry Sautier

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