
Georges Ibrahim Abdallah, âgé de 69 ans pour être né le 2 avril 1951, est en détention depuis son arrestation, le 24 octobre 1984 à Lyon, et à la suite de sa condamnation à la peine de réclusion criminelle à perpétuité en 1987 par la Cour d’assise spéciale de Paris. Il fait partie des très rares détenus auxquels on applique la vraie perpétuité. Il est probablement aujourd’hui le plus ancien détenu en France, avec 36 années 1/2 derrière les barreaux. Les autres recordmen de l’emprisonnement étaient tous des criminels ayant du sang sur les mains. Abdallah, lui, n’en a pas, puisque condamné pour complicité de crimes, les assassinats d’un attaché militaire américain en poste à Paris, et celui d’un fonctionnaire israélien membre du Mossad également en poste à Paris. Il est libérable, aux yeux de la loi française, depuis plus de 20 ans… Mais rien n’y fait, notre justice et nos autorités s’y opposent systématiquement.
Un militant palestinien qui n’a jamais renié son engagement
Ainsi lors de son procès en 1987, il a déclaré : « Si le peuple ne m’a pas confié l’honneur de participer à ces actions anti-impérialistes que vous m’attribuez, au moins j’ai l’honneur d’en être accusé par votre cour et de défendre leur légitimité face à la criminelle légitimité des bourreaux ». Il évoquait là les actions des FARL, Fractions armées révolutionnaires libanaises, et dont il est un des fondateurs, lesquelles avaient revendiqué ces assassinats.
Chrétien maronite, éduqué, instituteur, il prend fait et cause pour la lutte des Palestiniens dans le contexte des années 70. Il rejoint le FPLP de George Habache, de religion grecque-orthodoxe, dont il serait un proche, qui se rend alors célèbre par la pratique des détournements d’avion.
C’est son fort engagement politique et sa proximité avec le FPLP, puis les FARL, qui vont sceller son sort. Les faits de complicité avec l’organisation des attentats ne sont pas réellement documentés. Mais la préparation d’un cocktail mêlant enquête de police approximative et un contexte politique délétère suffiront à accréditer sa culpabilité.
Un traitement judiciaire personnalisé
Pour ce faire, il a suffit de soumettre l’affaire à la Cour d’assises spéciale de Paris, juridiction nationale, mais surtout d’exception. Pas de jury populaire, et des juges triés sur le volet. La cour jugera les faits dans une situation française extrêmement sensible à une série d’attentas sanglants initiés par Téhéran.
« Nous avions lancé la piste des FARL sur la base des premiers témoignages, même si nous savions que pour des français, qui pensaient avoir reconnu les frères Abdallah sur les lieux des attentats, tous les barbus proche-orientaux se ressemblent, reconnaît Robert Pandraud (proche de Charles Pasqua). Je me suis dit que mettre en avant la piste Abdallah ne ferait pas de mal, même si ça ne faisait pas de bien. En réalité, nous n’avions alors aucune piste ». Le juge antiterroriste Alain Marsaud écrira même dans ses Mémoires : « Il est désormais évident qu’Abdallah fut en partie condamné pour ce qu’il n’avait pas fait ».
Abdallah va, dès lors qu’il y sera éligible conformément à la procédure pénale française, présenter des demandes de libération. Ainsi en novembre 2003, la juridiction de l’application des peines ordonne sa libération conditionnelle à condition qu’il fasse l’objet d’une expulsion du territoire français. Dominique Perben, ministre de la Justice, fait appel de la décision et ne prononce pas l’expulsion. À nouveau en 2013, la chambre de l’application des peines de Paris accède à sa huitième demande de libération, sous condition de la prise d’un arrêté d’expulsion. Une intervention américaine auprès de Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, convaincra Manuel Valls, alors ministre de l’intérieur, de refuser de signer l’arrêté d’expulsion…
Pour faire bonne mesure, la Cour de Cassation annulera avec la componction qui lui sied la décision initiale de libération au subtil motif qu’Abdallah « ne pouvait se voir accorder une libération conditionnelle sans avoir été obligatoirement préalablement soumis, à titre probatoire, à une mesure de semi-liberté ou de placement sous surveillance électronique pendant une période d’un an au moins ».
À criminalité politique, un traitement politique ?
Quand on sait que ce sont les gardiens de prison centrale de Lannemezan qui, appréciant particulièrement la culture et l’humanité (il ne faut pas là avoir peur des mots), d’Abdallah, ont alerté à nouveau les médias, on est confondu.
Faut-il ici rappeler les nombreuses libérations de prisonniers indiscutablement politiques intervenues au bénéfice de militants politiques par ailleurs criminels ? Ainsi Anis Naccache, organisateur de la prise d’otages de l’OPEP à Vienne, ensuite pris les armes à la main lors de la tentative d’assassinat de Chapour Bakhtiar en 1980 (3 morts), bénéficiera d’une grâce présidentielle dix ans plus tard est sera expulsé. Il est vrai qu’il profitait alors d’une négociation entre la France et l’Iran. Et cerise sur le gâteau, Anis Naccache bénéficia de l’Accord de Vienne sur le nucléaire iranien en 2015, cet accord prévoyant que près de 150 personnes, dont lui, ne seraient plus visées par les sanctions internationales adoptées contre l’Iran à partir de 2006.
Abdallah, lui, est sans soutien. Le temps est loin des premières actions terroristes palestiniennes. Plus aucun contentieux diplomatique ne peut lui bénéficier. Abandonné par la politique, Abdallah n’intéresse plus personne, à part quelques journaux en mal de marronnier judiciaire ou quelques militants surannés. Autrement dit, il ne vaut plus rien.
Aujourd’hui, il ne fait aucun doute que si des magistrats français étaient interrogés à propos du sort de Georges Ibrahim Abdallah, ils choisiraient immédiatement l’option de sa libération. De même que toute personne sensée dans notre pays.
Alors oui, il faut libérer Georges Ibrahim Abdallah.