
L’annonce de la reprise de la chasse au pachyderme par les autorités au Botswana relance un vieux débat où s’affrontent réalisme et sentiments. Le réalisme caractérise, sur cette question, la politique de certains États africains, tandis que le sentiment envahit l’opinion occidentale. L’Occident n’a, a priori, aucune légitimité à faire pression sur les régimes africains sur cette question dont il faut ici cerner précisément les contours et enjeux.
Les causes de la raréfaction de l’éléphant africain
L’Homme est exclusivement à l’origine de la baisse drastique des populations d’éléphants en Afrique. De plus de 400 000 individus en l’an 2000, la population a baissé de 100 000 depuis, selon les informations dont on dispose. Les causes sont à rechercher dans le braconnage et la réduction de son habitat naturel alors que l’on comptait autrefois des millions d’éléphants en Afrique.
On estime que 25 à 30 000 éléphants sont braconnés par an en Afrique. À ce rythme, ce bel animal aura complètement disparu avant 20 ans. Très marginalement, certains animaux sont tués pour la viande ou éliminés à cause des dommages causés aux cultures. Mais l’essentiel des abattages illégaux répondent à la demande asiatique d’ivoire, toujours persistante et même en progression à cause du développement économique, et donc du pouvoir d’achat croissant en Asie.
Dès les années 70, la pression du braconnage intensif a augmenté. Ainsi, des soudanais opéraient des razzias dans l’Est de la République Centrafricaine à dos de cheval ou même de chameau, armés de kalashnikov ! Fortement armés, les braconniers terrorisaient les populations, contraintes à l’exode rural. Les forces de gendarmerie n’étaient pas formées à l’anti-braconnage. Les éléphants étaient abattus sans discrimination, quel que soit leur âge ou leur sexe. Une fois tués, on attaque à coups de hache l’extrémité de la tête portant les défenses, qui ne peuvent pas être extraites aisément tant que les chairs sont fraîches. Et bien entendu, la carcasse constituée de tonnes de viande comestible est abandonnée sur place aux charognards.
Par ailleurs, la forte réduction de l’habitat à raison de l’augmentation de la population depuis le début du XXème siècle a impliqué la baisse corrélative du nombre d’éléphants.
Pourtant certaines de ces causes sont susceptibles d’être largement réduites.
La restauration de l’autorité des États en Afrique mais aussi de l’ordre international
L’exemple de l’Afrique du Sud est topique. Ce pays dispose d’une bonne population d’éléphants, mais la dégradation de l’ordre public a causé une reprise du braconnage, notamment dans le parc Kruger. Quant au Mozambique, qui s’était payé la rénovation de son réseau ferroviaire en vendant à la Chine son ivoire dans les années 70, il avait réussi depuis à reconstituer la population du plus gros mammifère terrestre. C’est un exemple caractéristique de la capacité des éléphants à reconstituer leur population pour peu qu’ils se considèrent en sécurité. Mais là encore, la dégradation de l’autorité de l’État a eu pour conséquence une reprise massive du braconnage au début de ce siècle.
Certains pays africains ont adopté une politique d’anti-braconnage efficace, notamment au Gabon, au Zimbabwe, au Botswana, en Namibie ou encore au Kenya. Pour ce dernier pays, ayant opté depuis longtemps pour les safaris vision, l’éléphant constitue un produit d’appel fort à destination des touristes étrangers. La chasse y est interdite.
Mais la grande majorité des pays comptant une population d’éléphants significative autorisent sa chasse. Ce n’est qu’un paradoxe apparent.
L’interdiction de la chasse à l’éléphant, décrétée initialement par Bokassa, pour son trafic personnel, a eu pour effet l’arrêt de la lutte anti-braconnage et la quasi disparition de l’animal dans le pays. Et la déliquescence actuelle de l’État centrafricain ne lui laisse plus aucune chance.
En revanche, les pays occidentaux, dont les opinions se concentrent dans un militantisme anti-chasse, n’ont aucune politique sérieuse vis à vis des pays importateurs d’ivoire. La Chine adopte une politique d’affichage sur la répression de l’importation illégale de l’ivoire, mais on sait que le trafic continue, aggravé par la nombreuse présence de chinois en Afrique. C’est pourtant la cause première de ce désastre écologique.
C’est la chasse qui protège les éléphants
Il faut le dire clairement ; la chasse légale constitue actuellement le meilleur moyen de protéger les éléphants. Si l’on veut bien un instant opter pour la raison contre les sentiments, on comprendra que la chasse légale implique un grands nombre d’effets bénéfiques indiscutables.
C’est d’abord une source importante de revenus pour des pays pauvres et peu développés au plan économique. Un chasseur dépense localement des sommes considérables pour pratiquer cette activité. Outre une taxe d’abattage de l’ordre de 25 000 $ pour le pays, une « hôtellerie » de brousse hors de prix (1 200 $ par jour pour un séjour de 15 jours au minimum), le riche chasseur dépense localement. Et contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’essentiel des bénéfices générés par l’activité restent sur place.
Par ailleurs, la chasse réglementée permet aux autorités le financement d’une politique d’anti-braconnage efficace, le maintien d’une population locale qui profite de la d’emplois et de la rétrocession partielle de taxes, de la totalité de la venaison, etc. Il n’y a en outre aucune contradiction entre la pratique de la chasse et le développement des safaris vision.
Les pays qui autorisent la chasse à l’éléphant sont ceux qui arrivent à en conserver une population viable. Le Zimbabwe, pourtant pillé par Robert Mugabe, a préservé une grande zone au nord où le peuplement est contrôlé, de sorte que ce pays compte encore actuellement près de 80 000 éléphants. Le Botswana ne s’y est pas trompé. Il avait, sous la pression internationale interdit la chasse en 2014, mais est revenu sur sa décision. Il faut bien admettre que le prélèvement de 287 individus sur 130 000 est insignifiant.
Il faut donc convenir que notre opinion sur la question doit être raisonnable, et surtout s’attacher à l’intérêt bien compris des éléphants. Or il est paradoxal de constater que l’opinion occidentale, dominée par l’émotion, ne sert pas cet intérêt, bien au contraire. La raison doit donc s’imposer dans le débat, contre un réflexe Disney amèrement délétère.