En matière pénale, la logorrhée législative ne remplace pas l’action

La surproduction législative, mal bien français, signe la faiblesse corrélative d’un État. À chaque fait divers occupant l’actualité, il se trouve un député ou un ministre pour proposer un nouveau texte législatif pour réprimer le comportement anti-social. Ces effets d’annonce, pas nécessairement suivis de l’adoption effective d’un texte, masquent l’indigence d’une Justice en France qui ne s’occupe pas des Français et ne leur assure pas un cadre de vie apaisé, alors même qu’elle dispose de l’arsenal législatif adéquat. Un bref constat de la politique pénale donne la mesure de ce décalage entre communication et action.

La surproduction des textes et l’affaiblissement de l’État

Entre 1980 et 1995, on observe, selon la Chancellerie, une augmentation constante du nombre de lois, décrets et ordonnances créant ou modifiant des sanctions pénales : 27 textes en 1980, 43 en 1985, 53 en 1990 et 57 en 1995. On se demande ce qui, dans notre société, pourrait justifier une telle production. 

Et d’une manière nette, depuis les années 70, on constate que l’affaiblissement de l’autorité de l’Etat a été accompagné par celui de la justice pénale. Cette tendance est paradoxalement inverse à l’évolution de l’arsenal répressif au plan législatif.

Car au fond, à part quelques alignements liés l’évolution de la société (peine de mort, IVG), la loi pénale, c’est à dire les incriminations et l’échelle des peines, a été renforcée. Autrement dit, des infractions nouvelles ont été crées, et les peines encourues ont été augmentées, notamment en cas de récidive. De même les conditions d’exécution des peines ont été aggravées. Ainsi les peines de sûreté, c’est à dire la durée de détention pendant laquelle une peine ne peut être aménagée, ont été allongées.

Alors que s’est-il passé pour que sauf exception, notre justice donne le spectacle d’une mansuétude persistante à l’égard des délinquants ?

L’esprit de mai 1968 règne encore

Les effets de 1968 chez certains magistrats ont certainement pesé dans cette évolution. On recherche probablement trop à expliquer l’explosion de la délinquance par les conditions dégradées aux plans économiques, sociaux et familiaux. Ce sont les mêmes raisons qui président parfois au prononcé de sanctions indulgentes alors même que l’opinion réclame une répression accrue. Pour autant, cette demande de fermeté reste sans effet. Il reste que la certitude de la répression des actes délictuels reste le premier rempart contre la délinquance.

On a raison de pointer le manque de places de prison. Parfois le juge écarte cette solution précisément pour cette raison. Il ne le dira jamais dans son jugement, mais il en tient compte. La raison de ces dysfonctionnements, c’est que le juge n’a au fond pas vraiment le choix, entre la prison ferme et la liberté plus au moins contrôlée.

Depuis des décennies, on constate un retard inadmissible dans la construction de prisons, couplé à une faiblesse insigne des moyens donnés aux services chargés du suivi des condamnés une fois en liberté.

Certains pays du nord de l’Europe mettent en œuvre des moyens considérables pour l’emprisonnement en cellule individuelle (faut-il rappeler que c’est un droit, majoritairement non respecté chez nous dans les maisons d’arrêt ?) et le suivi personnalisé des condamnés en liberté. Ces politiques pénales sont efficaces. Le taux de récidive là-bas est notoirement faible. La comparaison du coût d’une justice attentive et personnalisée avec celui des dégâts économiques et moraux évités est sans appel.

Une majorité de Français pensent que les prisons réservent aux détenus des conditions de détentions confortables, des « cellules 5 étoiles » selon une expression parfois reprises. La réalité est que les détenus s’entassent parfois à 6 dans des cellules. 2 lits superposés et deux matelas au sol sont parfois le sort de détenus. Mais rien n’y fait ; toute amélioration de la situation des détenus passe mal dans l’opinion.

Le juge français opte, s’agissant de la moyenne délinquance, pour la prison ferme parce qu’il sait qu’un aménagement est possible en-deçà de deux ans de prison, ou pour une peine assortie du sursis avec mise à l’épreuve, en espérant que le système suivra. Pire, il choisit parfois le sursis simple (donc sans suivi judiciaire), pour ne pas surcharger le service de l’application des peines qui par manque de moyens n’en peut plus…

C’est la réalité de la justice pénale dans notre pays. Mais la faiblesse de cette justice à des causes systémiques.

Un dénuement inadmissible

D’abord les moyens de la justice en France sont indignes d’un pays développé ; on ne peut pas admettre que notre pays consacre à sa justice un modeste budget dans les pays européens développés. Sachant que la France intègre dans ses statistiques le coût de son administration pénitentiaire. Ce budget équivalait il y a quelques années à celui de la seule aide juridictionnelle au Royaume Uni. La France se paye même le luxe de se placer en termes budgétaires, dans le classement mondial, derrière la Russie et la Turquie !

Ensuite notre pays néglige, maltraite devrait-on dire, sa justice. Qualifiée constitutionnellement d’autorité judiciaire, elle n’est même pas un pouvoir, comme le sont le parlement et l’exécutif. C’est l’héritage du Général De Gaulle, qui se méfiait des juges. Lui qui a su si bien pratiquer la justice d’exception pour maintenir l’ordre.

Le pouvoir actuel n’a pas rompu avec cette politique ; il entretient cette servilité de la justice.

Une justice pauvre interdit absolument l’émergence d’un « pouvoir judiciaire ».

L’Ecole Nationale de la Magistrature est en réalité une curiosité. Les observateurs étrangers ne comprennent pas comment un Etat peut éduquer ses juges. Chez nous le corps des procureurs n’est pas indépendant. Ce sont des magistrats, notés par les chefs de juridiction, les procureurs et procureurs généraux ! La place Vendôme continue à piloter certaines affaires pénales tout en prétendant qu’elle ne donne aucune instruction à ses procureurs. Il faut être naïf pour y croire.

Les juges du siège quant à eux sont également notés, par leur président ou premier président de cour d’appel. Cette notation pèse lourd dans lavancement

Dernier effet délétère dans le corps de juges ; l’instrumentalisation permanente de la justice par le pouvoir les convainc, comme le français moyen, qu’il y a deux justices. 

Car il y en a bien deux, dès lors que le politique pèse substantiellement sur l’initiative des poursuites et leur conduite. 

Faut-il rappeler l’affaire Fillon, où le Parquet national Financier est pré-positionné à l’annonce du Canard Enchaîné pour diligenter une enquête le jour même de la révélation de l’hebdomadaire. La cellule constituée par Nicolas Sarkozy à la Chancellerie pour abattre Dominique de Villepin dans l’affaire Clearstream illustre cette main-mise. Comme le sont le rappel à la loi de Madame Lagarde pour un délit de complicité dans l’affaire de l’arbitrage Tapie.

Le juge lambda sait qu’il ne fait pas partie de ce monde-là. Et que la gestion de sa carrière importe plus que de s’emparer d’un cas pour défendre son serment et faire triompher, à sa mesure, la Justice.

Encore il y a peu, les affaires Halimi et celle de cette fonctionnaire de police égorgée,  ont à nouveau déclenché une campagne pour « modifier la loi ». Mais Madame Taubira, Madame Belloubet puis Monsieur Dupont-Moretti auront pu, sans cesse, annoncer réformes législatives et plans justice ; ce sont d’abord des effets d’annonce, tandis que le cours de l’indigence judiciaire pénale coulera gentiment jusqu’à ce que le peuple n’en puisse plus. Car ce dont nous avons besoin, c’est d’abord d’une volonté politique plutôt que de production législative au fil de l’actualité.

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A propos de l'auteur Thierry Sautier

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