Publicité des débats judiciaires : l’État n’en veut en réalité pas

Éric Dupont-Moretti, notre garde des sceaux, remet à nouveau sur le tapis la question de la publicité des débats judiciaires. Vœu pieux dès lors que notre système judiciaire, proche de l’archaïsme, se méfie absolument de l’opinion publique, au motif avoué que la sérénité des débats serait selon lui menacée par la présence du public. Tout est fait d’ailleurs pour freiner l’accès du public dans nos tribunaux. Si le motif du Covid n’est pas opposé, ce sera l’exiguïté de la salle. Essayez d’entrer dans un tribunal, et vous ferez l’expérience de la difficulté à assister à un procès. Il faut mettre fin à ces multiples obstacles, mais surtout assurer la diffusion effective des procès, seul moyen de permettre à l’opinion publique d’apprendre le fonctionnement de notre système et surtout de contrôler l’activité d’une Justice rendue, faut-il le rappeler, au nom du peuple français.

Un grand principe qui n’est pas respecté 

La Justice démocratique se caractérise par l’accès de tous aux procès ; c’est le principe de la publicité des débats.

Voilà comment le site Vie Publique présente l’affaire  :

« La publicité est un principe fondamental du fonctionnement de la justice. Il est consacré par larticle 6-1 de la Convention européenne des droits de lhomme, et inscrit dans les codes de procédure. Il se justifie par le fait que, la justice étant rendue « au nom du peuple », les citoyens doivent pouvoir en contrôler lexercice quotidien.

Il existe un principe général de publicité des débats judiciaires et du prononcé des jugements. Cependant, la mise en œuvre de cette règle fondamentale peut connaître certains aménagements 

 – la publicité des débats peut être modulée en fonction de considérations tenant à lintérêt général (ordre public, sécurité nationale, sérénité de la justice) ou à lintérêt des parties (protection des mineurs, protection de la vie privée). Sauf les cas où la loi le prévoit (comme devant les juridictions pour mineurs), il revient au président de statuer sur l’éventualité dun huis clos ;

  • la publicité du prononcé de la décision ne souffre par contre aucune exception, quil soit fait par lecture à laudience ou par dépôt au greffe. Dans tous les cas, les tiers peuvent se faire délivrer gratuitement une copie de la décision. La loi du 23 mars 2019 prévoit en outre la mise « à la disposition du public à titre gratuit sous forme électronique » de l’ensemble des décisions de justice, dans le respect de la vie privée des parties et des tiers.

Le principe de publicité de la justice pose enfin la question de sa médiatisation, et notamment celle de la diffusion audiovisuelle des débats judiciaires. Si les journalistes possèdent un libre accès aux salles daudience, lenregistrement des débats est interdit (sauf procès historique ou autorisation spéciale). »

Beaucoup de componction pour en réalité enterrer menu l’accès moderne du public aux débats judiciaires. On peut envahir les médias d’articles sur une affaire médiatique, mais l’accès au son et à l’image n’existe que si le pouvoir le veut bien.

La publicité ne sert qu’à l’édification des masses, quand le gouvernement le souhaite. Les procès Barbie, Touvier et Papon ont été largement relayés, mais pas en direct. La diffusion en direct de la parole d’un Jacques Vergès, Jacques Trémolet de Villers ou Jean-marc Varaut aurait-elle pu déplaire ?

D’ailleurs, la communication de l’État rend pratiquement impossible l’accès aux archives audiovisuelles.

Il faut donc mettre fin au contrôle gouvernemental sur la diffusion des débats, et le remplacer par un système simple qui tiennent compte des droits des individus comme du respect des victimes.

L’exemple américain 

Contrairement au Royaume-Uni, qui applique un secret très sévère sur les débats en matière pénale ainsi qu’un anonymat partiel, les USA assurent une large publicité qui sert les intérêts des différentes parties, et l’information du public.

L’exemple du procès fait à Derek Chauvin, policier à Minneapolis, accusé du meurtre de George Floyd, est à cet égard édifiant. Il suffit d’aller sur Youtube pour trouver de nombreux sites qui ont diffusé en direct les débats.

On pourrait penser a priori que ce procès serait pollué par une montée en puissance d’interventions de manifestants afin de peser sur les débats et la décision. Il n’en a rien été. Les jurés, qui devaient donner un avis unanime pour prononcer une déclaration culpabilité de meurtre, ne seront jamais montrés, même lors de la phase de sélection du jury. Le juge se réserve de brèves conférences secrètes avec la défense et l’accusation, sur la conduite des débats ; on coupe alors, tous simplement, les micros.

Le « spectacle » de ce procès permet au public de constater la qualité du débat, qui résulte d’une méthodologie processuelle de très haut niveau. Les droits de la défense sont respectés, et au premier chef le droit au silence de l’accusé, qui lui évite de s’auto-incriminer. Lors des pauses, des journalistes compétents expliquent et résument avec impartialité les éléments du débat. Les seules manifestations publiques significatives ont eu lieu après le verdict de culpabilité.

Il faut s’inspirer de cet exemple, même si on en connait les dérives, comme lors de l’affaire d’O.J Simpson. Mais il faut croire que les autorités en ont tiré les enseignements car l’affaire de Derek Chauvin a été traitée complètement et sereinement par les médias.

Une réforme nécessaire

La première raison tient au fait que les Français se méfient d’une justice dont ils ignorent le fonctionnement. On voit parfois des justiciables donner du « Votre honneur » au président du tribunal correctionnel ! C’est le signe qu’ils n’apprennent rien des fictions judiciaires françaises, écrites il est vrai par des ignorants qui peinent à faire la différence entre un procureur et un juge du siège.

Toutes sortes d’arguments sont avancés par les opposants à une large diffusion des débats ; nous n’en aurions pas les moyens, le public n’est pas suffisamment compétent pour apprécier la qualité des débats, et surtout l’opinion troublerait leur sérénité. Prendre les gens pour des idiots ne serait pas différent.

Le pouvoir freine des quatre fers pour limiter et contrôler, avec le soutien implicite des médias majeurs, le contenu de ce qui peut être diffusé, tandis qu’aux USA la question est réglée. Il faut donc instituer un réel accès des citoyens à l’exercice de la justice. Cela est parfaitement possible. Il suffit de protéger l’anonymat des jurés, des victimes et des accusés quand il le souhaitent, dispositif qui serait déjà plus strict qu’aux États-Unis. Il convient également au président d’audience de décider, par une décision spéciale et motivée, du huis-clos.

Une publicité raisonnée aurait pu ainsi éviter des dérives inadmissibles, comme lors du procès d’Omar Raddad, où le président d’audience, dont on ne citera pas ici le nom par charité chrétienne, a été odieux. Lors de l’interrogatoire de personnalité de l’accusé, le président s’est étonné publiquement qu’un musulman puisse fréquenter des prostituées, allant jusqu’à préciser, en réponse aux bonnes références données à l’accusé par sa femme, « mais il égorge le mouton ». Nul doute qu’à tout le moins l’enregistrement audio et vidéo des débats lui aurait interdit une telle dérive.

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A propos de l'auteur Thierry Sautier

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