
Les derniers développements du contentieux lié aux projets nucléaires de l’Iran confirment une constance de la politique étrangère moderne américaine. Si ce contentieux porte sur la question nucléaire, il n’est en réalité que l’illustration d’une politique anti-iranienne globale. Car il s’agit de soumettre le régime de la République islamique d’Iran à la conception que les U.S.A ont de l’équilibre général du Moyen-Orient, et plus précisément de l’Asie de l’Ouest. Tant que l’Iran ne sera pas soumis, c’est-à-dire ne sera pas passé purement et simplement dans le camp américain, il devra affronter une hostilité constante.
Mais le pire n’est jamais certain puisque la nouvelle administration de Joe Biden semble vouloir revenir malgré tout dans le cadre de l’accord sur le nucléaire, dénoncé par Trump.
Conception initiale de la politique étrangère américaine
Si les États-Unis présentent traditionnellement leur politique étrangère comme le moyen de diffuser démocratie et prospérité dans le monde, il reste qu’elle se réduit aujourd’hui à la consolidation d’une hégémonie politique sur une majorité de pays acquis à leurs objectifs économiques.
A l’origine, l’Amérique développe le concept de « destinée manifeste », cette idée selon laquelle son territoire a permis l’émergence, à partir du flux migratoire européen fuyant les tyrannies et les guerres, d’une zone démocratique et prospère. Cette idée implique a priori un isolationnisme de principe, illustré ainsi par Georges Washington en 1796 : « Notre Grande règle de conduite envers les nations étrangères est d’étendre nos relations commerciales afin de n’avoir avec elles qu’aussi peu de liens politiques qu’il est possible. Autant que nous avons déjà formé des engagements remplissons-les, avec une parfaite bonne foi. Et tenons-nous en là ». Thomas Jefferson définira ainsi cette vision en 1820 : « Rien n’est plus important que l’Amérique reste séparée des systèmes européens, et en établisse un original. Notre situation, nos objectifs, nos intérêts sont différents. Il doit en être de même pour les principes de notre politique ».
Pour autant l’Amérique fera la guerre contre l’Espagne, susceptible de la gêner dans sa politique régionale. Elle interviendra à Cuba, achètera Porto-Rico, s’emparera de son sud hispanique (Texas, Nouveau-Mexique) et obtiendra des droits permanents sur le canal de Panama. Si les États-Unis interviennent -en 1917- au cours de la première guerre mondiale, ils seront vite repris par leurs tendances isolationnistes et n’interviendront finalement dans le deuxième conflit mondial que parce l’attaque de Pearl Harbour les y a contraints.
Une politique constante jusqu’à la grande rupture, l’affaire des otages de l’ambassade américaine en 1979
Les USA se sont longtemps contentés d’une politique préservant leurs approvisionnements en pétrole, en conservant leurs accords avec les pays du Golfe, tout en maintenant leur alliance fondamentale avec Israël. La CIA, avec l’aide du MI 6 anglais, montera un coup d’état militaire pour renvoyer Mossadegh devenu incontrôlable à la suite de ses velléités de rapprochement avec les pays de l’Est et de la nationalisation de l’Anglo-Iranian Oil Company. La remise en selle de Mohammad Reza Pahlavi, le dernier chah d’Iran, ouvrira une période fructueuse à partir de 1953.
Mais la chute du Chah, suivie par la prise d’otages à l’ambassade américaine de Téhéran va déclencher une crise qui dure encore aujourd’hui. Cette prise d’otages, suivie par le fiasco de l’opération héliportée « Eagle Claw », en avril 1980, et de la libération des otages payée par la libération partielles des avoirs iraniens gelés aux U.S.A, auront durablement blessé l’orgueil des U.S.A.
La destruction en vol de l’Airbus d’Iran Air, à la suite d’une méprise de l’USS Vincennes, et l’attitude en fait hostile des États-Unis dans la guerre Iran-Iraq entretiendront des motifs de contentieux. Dès 1996, les U.S.A, via la loi d’Amato-Kennedy, renvoyant l’Iran au rang d’ « État voyou », instituait des sanctions économiques sévères.
Pour autant l’Iran ne se soumettra pas et entreprendra même une politique régionale insupportable pour l’Oncle Sam.
Les prétentions régionales de l’Iran devenues inacceptables
Il est bon de rappeler ici que l’Iran est une puissance traditionnelle dans cette partie du monde. La Perse est un des berceaux de la civilisation moderne, longtemps grande puissance de l’Asie de l’Ouest. Iran signifie royaume des Aryens. Partiellement islamisée mais pas arabisée, la Perse a pu conserver son originalité jusqu’à se convertir au chiisme, par opposition à l’empire sunnite Ottoman. Entre la Turquie et la péninsule arabique, sunnites, l’Iran va développer son originalité et de ce fait retrouver son ancestrale puissance politique, mais aussi religieuse.
Le pays n’a pas de revendication territoriale. Le conflit engagé par l’Iraq contre l’Iran se soldera, à tout le moins sur le plan politique, par une victoire iranienne, et revigorera l’esprit national. La constante opposition américaine au développement de la puissance iranienne aura un effet fédérateur majeur dans cette nation, qui pourtant n’est pas majoritairement Perse au plan du peuplement, ni amicale avec le régime des mollahs.
La récente réconciliation entre les pays du Golfe et Israël, initiée par les États-Unis, n’a qu’un seul objectif ; la réduction de l’influence iranienne dans la région. Tout devrait pourtant opposer Israël et le Golfe, qui a longtemps soutenu les divers mouvements terroristes réunis dans leur commune détestation de l’État juif. L’Iran ne peut pas supporter sa situation d’encerclement et développe, face aux arsenaux régionaux qui lui sont hostiles, une politique d’influence qui a pour cible les populations, via ses systèmes de solidarité et d’entraide.
L’avenir de l’Iran dans le contexte
L’intervention militaire directe contre le régime iranien a été une option pour laquelle G.W Bush avait une large préférence. Mais les sollicitations notamment israéliennes n’ont pas même convaincu la branche la plus dure des conseillers du présidents américain. Car, au-delà de la perspective d’un nouveau bourbier, il ne fait aucun doute que la nation iranienne se souderait comme jamais face à une intervention sur son territoire, dont les caractéristiques physiques interdisent l’idée d’une invasion qui ne soit pas terrestre.
Le dispositif de sanctions contre l’Iran est-il efficace ? Outre le fait que les sanctions heurtent l’opinion d’un pays et renforce son unité, on sait qu’un pays sous embargo réussit toujours à développer des alternatives, en exploitant ses atouts propres et en trouvant des alliés. Pour le pétrole, qui constitue une part prépondérante des ressources du pays, l’Iran a trouvé des débouchés vers des pays qui s’opposent à la géopolitique américaine, réduisant ainsi l’impact des sanctions.
Le pari américain est donc clair ; l’aggravation de la situation économique du pays par le caractère insupportable des sanctions devrait déboucher sur une révolution populaire et démocratique contre les mollahs. Mais c’est un voeu pieux, en tout cas à la lumière de l’ancienneté du régime des sanctions. On peut même parler d’une politique qui renforce l’unité du pays autour du régime. Ainsi le nouveau président iranien élu Ebrahim Raïssi est un représentant de la ligne la plus traditionaliste.
L’accord de Vienne sur le nucléaire iranien de juillet 2015, sous la présidence Obama, constituait une avancée extrêmement positive pour les pays signataires. Contre l’acceptation des contrôles de l’Agence internationale de l’énergie atomique sur son activité d’enrichissement de l’uranium, l’Iran bénéficiait d’un allègement des sanctions notamment en matière d’exportations pétrolières. Les inspecteur de l’Agence internationale ont attesté de la collaboration de l’Iran qui de ce fait était même autorisé à exporter une partie de son uranium enrichi vers la Russie.
Mais la présidence Trump, très influencée par le lobby pro-israélien, est revenue unilatéralement sur cet accord, ce qui a donné à l’Iran l’opportunité de se désengager de certaines de ses obligations.
Or l’Iran ne pourrait que se libéraliser et retrouver une prospérité certaine si les États-Unis cessaient de maintenir un régime de sanctions qui n’a qu’un effet, accroitre la volonté de l’Iran de peser dans la région en soutenant des mouvements dans ses territoires proches pour desserrer son encerclement. Pire encore, l’oppression américaine a eu comme résultat le rapprochement de l’Iran avec la Russie, puis encore récemment avec la Chine. Piètre résultat !