Non, Emmanuel Macron n’est pas (vraiment) libéral

Régulièrement présenté comme une figure du camp libéral, tant en matière économique, politique, que sociétale, l’exercice du pouvoir du président sortant a pourtant confiné le libéralisme, au point de faire du candidat d’En Marche! une figure hiératique et autoritaire, encline à embrasser une certaine idée de l’illibéralisme. Retour sur le “en même temps” paradoxal d’Emmanuel Macron et le cheminement constant sur cette ligne de crête qui a rythmé le quinquennat.

 

Libéral au-delà

Sur la scène internationale, Emmanuel Macron a eu beau jeu d’incarner, dès son arrivée au pouvoir en mai 2017, une approche réaliste, pragmatique et libérale des relations internationales, face à une communauté internationale complètement ébranlée par les postures somme toute déroutantes de Donald Trump, conjuguées à la poussée illibérale de la Russie de Vladimir Poutine, en passant par la Hongrie de Viktor Orban jusqu’au Brésil de Jair Bolsonaro et, bien évidemment, la Chine de Xi Jinping. Dans une article publié en octobre 2011 par l’Institut Montaigne, Michel Duclos, souligne ainsi que “dans un premier temps, Emmanuel Macron tire magnifiquement parti du “casting” des dirigeants des autres puissances”. Le diplomate, et ancien ambassadeur de France en Syrie, souligne ainsi qu’en Europe, Emmanuel Macron bénéficie de l’effacement post-Brexit du Royaume-Uni de Theresa May et des difficultés d’Angela Merkel dans sa relation avec le partenaire nord-américain. En somme, résume Michel Duclos, Emmanuel Macron, de manière fort habile, va “utilise[r] le président populiste américain comme faire-valoir, devenant ainsi le leader de facto de l’internationalisme libéral tout en étant celui (avec le premier ministre japonais) qui parle à l’oreille du chef de la Maison-Blanche”. Un “en même temps” smart, caractéristique du pragmatisme et du réalisme attendu d’un président passé par la banque d’affaires, où les exercices de composition sont le sel du métier.

Malgré la défaite de Donald Trump en novembre 2020, l’idée d’un ordre international durablement affaibli, et peu à même de faire face aux nouveaux pôles libéraux internationaux, avec la Chine en avatar le plus inquiétant, a grandement contribué à renforcer la position d’Emmanuel Macron comme un rempart contre cette dynamique pernicieuse.

Récemment, la posture sans concession d’Emmanuel Macron sur le dossier ukrainien, avec sa casquette de Président du Conseil de l’Union européenne, a également contribué à renforcer le narratif d’un défenseur impénitent des libertés politiques et individuelles. Pourtant, la politique intérieure d’Emmanuel Macron, celle sur laquelle justement celui-ci semble déterminé à s’échapper, tranche fondamentalement avec cette posture, et jette un autre regard sur le macronisme déclinant.

 

L’affaissement de la liberté d’expression

C’est peut-être sur le front de la liberté d’expression que le confusionnisme macroniste inhérent au “en même temps” s’est le plus manifesté, témoignant en cela d’une ductilité patente d’Emmanuel Macron, entre éloge des valeurs libérales-libertaires constitutives de la startup nation et une volonté d’imposer un tour de vis sans précédent aux réseaux sociaux, au nom d’une lutte contre les fake news et la haine aux contours, pour le moins, équivoques.

Les premiers nuages sur la liberté d’expression en ligne sont arrivés en 2018, avec l’adoption, en fin d’année de la loi contre la manipulation de l’information, ou loi fake news. Cette loi a été jugée par de nombreux observateurs comme au mieux superfétatoire, au pire liberticide. Superfétatoire car, dans les faits, les lois sur la presse de 1849 et de 1881 permettaient déjà d’englober le phénomène en question, avec des amendes et des peines de prison prévues pour la production et la diffusion de contenus intellectuels manifestement fallacieux de nature à troubler l’ordre public. Liberticide car la terminologie sur laquelle cette loi a été élaborée, en l’espèce le concept de fake news, de par sa nature vague et difficilement définissable, est la porte ouverte à toutes les dérives procédurales. L’incapacité à établir nettement un curseur infaillible permettant de départir ce qui relève, ou non, de la fake news, couplée au délai de 48 heures imposé au juge des référés, sont autant de facteurs pouvant conduire les réseaux sociaux à une restriction sans précédent des conditions d’expression sur leurs plateformes.

Deux ans plus plus tard, la loi contre la haine en ligne, ou loi Avia, du nom de la députée de la majorité en charge de celle-ci, a accentué l’idée d’une volonté de l’exécutif de renforcer son contrôle des réseaux sociaux, dans une volonté de les pacifier à outrance risquant, à tout moment, de paver la voie à une censure débridée. Le Conseil constitutionnel ne s’y était d’ailleurs pas trompé, en censurant en juin 2020, l’essentiel de la proposition de loi. Comme pour la loi fake news, c’est notamment l’obligation faite aux réseaux sociaux de supprimer dans un délai de 24 heures les contenus dits “haineux” qui a cristallisé la crainte des Sages, ces derniers redoutant que ce mécanisme n’induise une “surcensure”.

 

Changement anthropologique et hygiénisation de l’espace public

 Tout au long du quinquennat Emmanuel Macron a, à plusieurs reprises, pointé du doigt les changements anthropologiques egendrés par les réseaux sociaux. Ces prises de position répétées, qui se sont accélérées avec la déflagration politique et sociale provoquée par le mouvement des Gilets jaunes, ont atteint leur climax le 18 mars 2019, à l’occasion du Grand débat entre Emmanuel Macron et les principales figures intellectuelles hexagonales.

À cette occasion, le Président de la République fait le constat que nous serions “en train de voir dans le mouvement social sous nos yeux se révéler une partie de la réaction chimique en chaîne, anthropologique, qu’a créé les réseaux sociaux”, et Emmanuel Macron d’ajouter que “ce que je peux faire sur les réseaux sociaux, je peux le faire dans la rue, je mets une cagoule, un masque, et l’anonymat permet le pire”.  Loin d’être un propos anodin, Macron plaide pour une régulation de ces espaces qu’il considère comme ayant engendré “un changement anthropologique très profond”. Un peu plus tôt dans l’année, toujours dans le cadre du Grand débat national, Emmanuel Macron avait appelé à redonner une “hygiène démocratique du statut de l’information”.

Du constat d’un changement anthropologique à celui de la nécessité de mettre en place des politiques publiques d’hygiénisation de l’espace public, Emmanuel Macron, sur la question de la circulation de l’information, et plus précisément sur les réseaux sociaux, a adopté une approche diamétralement contraire à celle attendue d’un libéral digne de ce nom.

Car cet appel en faveur d’une hygiénisation des réseaux sociaux, lancé le 18 janvier 2019 depuis Souillac, ne manque pas de faire écho à l’hygiénisme du XIXe siècle. De là à dire que, comme pour la santé des citoyens, graduellement passée sous le contrôle de la collectivité à partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle, l’information, appréhendée comme une maladie contagieuse contemporaine, le glissement est, reconnaissons-le, pour le moins inquiétant.

 

De l’hygiénisation des réseaux sociaux au confinement des libertés individuelles

Si la crise politique et sociale engendrée par le mouvement des Gilets jaunes, a contribué à la mise à l’agenda, avec une nouvelle acuité, des limites contemporaines de l’exercice de la liberté d’expression sur les réseaux sociaux, la crise sanitaire du Covid-19 a également abouti à un nouvel affaissement des libertés en France. Si le “quoi qu’il en coûte” macronien questionnait sur les conséquences économiques et financières de la réponse de l’exécutif à la crise sanitaire, la foisonnance de mesures, règles et normes mises en place pour faire barrière à la propagation du virus, a fait dévier, à nouveau, le macronisme de la trajectoire libérale dans lequel celui-ci était censé s’inscrire. Du laissez-faire, et son pendant le laissez-circuler, tant vanté pendant la campagne de 2017, le macronisme s’est mué en un interventionnisme, en apparence, débridé. Si l’extraordinaire ébranle, par définition, les normes, Emmanuel Macron tout au long de la crise sanitaire a incliné naturellement vers davantage de contraintes sur les corps et les esprits, sans donner l’impression, à aucun moment, de vouloir résister à la fuite en avant de son Premier ministre, d’alors, et de son ministre de la santé.

Quoi qu’il en soit, entre absence de concertation avec les parties prenantes, politiques, sociales et économiques, la place centrale accordée à un conseil scientifique dénué de toute dimension élective, et par là même dépourvu de toute légitimité démocratique, ajoutés à la manifestation d’une concentration accrue du pouvoir dans les mains d’un seul homme, la crise sanitaire a révélé au grand jour l’exercice solitaire, et en bien des points autoritaires, du pouvoir par un Emmanuel Macron dont le surnom de “Jupiter” n’a jamais semblé autant à propos.

Si la vérité est la première victime des guerres, il semble en aller de même pour les “guerres” sanitaires, telles que dépeintes par un Emmanuel Macron qui, depuis plus de deux ans, a revêtu un habit militaire, symbolique et discursif qu’il ne semble plus vouloir quitter. Comme si, affaibli par la déflagration de l’affaire Benalla qui, par-delà le seul comportement de “petit frappe” d’Alexandre Benalla, a pour la première fois exposé au yeux du public, et du politique, toutes les zones d’ombres de “Jupiter” et de sa cour, et après avoir senti de prêt le souffle du boulet social des Gilets jaunes qui, à l’hiver 2018, a failli emporter la Ve République, et son incarnation suprême, Emmanuel Macron ne pouvait dorénavant survivre qu’en proposant aux Français un état de siège permanent. Un état de siège permanent qui, pour reprendre le titre du célèbre essai de François Mitterrand paru en 1965, pourrait équivaloir à un coup d’État permanent.

Il n’est qu’à voir les réactions exagérément outrées et scandalisées de l’ensemble des soutiens du président sortant aux propos de Gérard Larcher, pour qui l’escamotage en règle du débat à l’occasion de cette campagne présidentielle, serait de nature à créer un problème de légitimité en cas d’hypothétique réélection d’Emmanuel Macron, pour se convaincre que le président du Sénat a mis au jour l’incroyable faille sur laquelle s’est bâti l’édifice macronien. Une faille béante qui, en un certain sens, illustre la ductilité d’Emmanuel Macron, capable de jouer avec l’ensemble des nuances séparant un système libéral de son pendant illébéral. Une faille béante qui, au demeurant, illustre également l’incroyable duplicité d’un président sortant insaisissable, qui, devenu lui-même l’avatar tangible du “en même temps”, a grandement contribué à affaiblir une démocratie libérale qu’il devait sauver du péril des extrêmes anti-républicains, d’extrême gauche et d’extrême droite. Au fond, la dérobade du président sortant à l’exercice, certes non imposé mais non moins souhaitable au vu des circonstances exceptionnelles traversées ces dernières années par le pays, illustre à elle seule l’affaissement républicain qu’Emmanuel Macron laissera à son successeur.

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A propos de l'auteur Sniper Campeur

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