
La guerre russo-ukrainienne doit nous amener à comprendre ce que veulent les États-Unis pour l’Europe et comment ils conçoivent son positionnement politique. Les U.S.A n’ont jamais au fond voulu que d’une Europe économiquement développée mais incapable aux plans politique et militaire. La guerre que nous connaissons aujourd’hui est l’illustration du succès complet du projet américain, qui nous fait payer l’essentiel de l’effort de guerre et économique contre la Russie de Poutine. L’atlantisme et l’infirmité politique de l’Europe occidentale nous ont placés dans le rôle de supplétif de la nouvelle guerre froide, contre la Russie moderne, et nous conduit à en supporter politiquement et économiquement le fardeau. En quoi, au-delà de la question certes respectable des principe moraux et du droit international (car Poutine a tort dans son recours à la violence) que nous appliquons sélectivement, devrions-nous sauver l’Ukraine ? Et peut-on sauver l’Ukraine en fournissant un tel effort économique et guerrier ?
Cette analyse doit s’extraire de considérations morales sur la légitimité de la guerre de Vladimir Poutine, sans quoi on s’égarerait.
L’atlantisme
L’atlantisme révèle le choix de nos amis américains de disposer d’alliés soumis qui puissent en toutes circonstances leur assurer un marché mais surtout le maintien d’une zone suffisamment anti-russe pour empêcher la constitution de la grande Europe de l’Atlantique à l’Oural, concept cher à De Gaulle. Celui-ci avait bien compris que l’arrimage de la Russie, même soviétique, à l’Europe occidentale, était seul de nature à assurer à notre continent une indépendance face à la puissance américaine. Cette vision, toujours iconoclaste aujourd’hui, explique ses réticences face à la création de l’Europe telle que nous la connaissons aujourd’hui et sa dépendance de l’OTAN. L’histoire récente illustre cette détermination américaine à la soumission complète de l’Europe occidentale à sa politique.
La présence du Royaume-Uni dans l’Europe a non seulement été un échec, mais encore un élément majeur de l’impossibilité de construire un modèle politique qui puisse s’accorder avec la Russie dont le caractère européen est pourtant indiscutable, d’abord au plan civilisationnel et culturel, mais aussi politique et économique. Les anglais, qui n’avaient jamais rejoint réellement la communauté européenne, ont été des alliés inconditionnels des U.S.A. De leur armement nucléaire américain à leur refus par exemple d’empêcher la probable extradition de Julian Assange, les anglais ont toujours été fidèlement alignés sur la politique américaine.
Bien plus, notre classe politique, à l’exception de la gauche radicale, est aujourd’hui totalement atlantiste. Et ce malgré les régulières trahisons américaines en matière militaire, ainsi la vente du chasseur F 35 en Europe, notamment à l’Allemagne. L’avion est pourtant un raté technologique, sans parler de son coût exorbitant. L’affaire des sous-marins vendus à l’Australie, mais aussi notre renoncement à vendre deux porte-hélicoptères Mistral à la Russie illustrent parfaitement notre soumission politique et par conséquent militaire en dehors de notre pré-carré africain.
L’Ukraine, programmée pour l’OTAN
Les américains ont comme objectif l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN. Nos politiques, aidés en cela par les médias, prétendent qu’il ne peut s’agir que d’une perspective à très long terme. Mais ce projet est pourtant officiel ! On doit bien comprendre que cette adhésion est un élément clé de la politique américaine consistant à isoler la Russie de l’Europe. C’est un acte politico-militaire avèrement agressif, inacceptable pour la Russie, comme il le serait pour les U.S.A à leurs frontières s’il s’y développait un arsenal pro-russe.
Cet objectif, alors même que l’Ukraine est un pays profondément corrompu, y compris à sa tête, est déraisonnable. Au-delà du fait qu’il est toujours opportun de laisser à son adversaire une zone d’influence, la stratégie de l’encerclement est mortifère. Dans ce contexte il est donc éminemment dangereux de provoquer l’armement d’un pays limitrophe de son adversaire.
Ainsi donc la politique américaine, parce qu’elle intolérable pour la Russie, est la cause première du conflit actuel, si l’on cherche un tant soit peu à en comprendre les racines.
On a développé aujourd’hui que l’Ukraine serait un pays démocratique et vertueux. Or le taux de corruption de ce pays a augmenté ces dernières années, se plaçant à l’indice 68 (contre 71 pour la Russie), et Vladimir Zelensky a directement été impliqué par les informations parues dans les Pandora Papers. Ce président gouverne avec l’aide des oligarques les plus puissants du pays, et s’est récemment illustré en interdisant plusieurs partis politiques dont le principal d’opposition au sein de la Rada, le parlement. Alors même que l’Ukraine détenait les clés de la bonne exécution des accords de Minsk, Zelensky a repris dès le début de l’hiver dernier le bombardement des républiques du Donbass. Les pays européens, dont la France, chargés de superviser les accords de Minsk n’ont exercé aucune pression sur l’Ukraine pour faire baisser la tension.
L’hubris de Poutine
C’est par une erreur de jugement caractérisée que l’on présente Vladimir Poutine comme un vrai soviétique agressif. Certes l’homme ne tergiverse pas et adopte aisément la manière forte. Mais c’est oublier que son accession aux responsabilités ne s’est nullement accompagnée d’une offensive anti-occidentale. Arrivé au pouvoir effectif en 1999 comme président du gouvernement, il avait de bonnes relations avec les américains. Les dirigeants occidentaux appréciaient alors sa politique de développement économique et surtout la stabilité et l’ordre qu’il apportait au pays. Ce climat favorable, qui a permis le développement d’un essor économique régional au sein de l’Europe occidentale, les anciens pays de l’est et la Russie, notamment via l’Allemagne, était un facteur de paix essentiel.
Mais Poutine commettra une faute majeure, aux yeux des occidentaux, en dénonçant, lors de son fameux discours de Munich de 2007, la politique hégémonique des U.S.A, qui profitant de leur programme d’aide économique, avaient en particulier truffés les ministères et l’administration russes de conseillers, notamment en provenance de l’Université de Harvard. Cette manifestation de souveraineté a été considérée comme une provocation par les U.S.A et a consommé la rupture entre les deux pays.
S’en suivirent une politique américaine d’isolement de la Russie qui, suprême provocation, mettait fin à la submersion islamique de la Syrie.
Le prix à payer pour les Européens
La politique de sanctions va peser très lourd sur nos économies. Les États-Unis ne payent pas grand-chose. Bien au contraire, ils en profitent pour reprendre leurs fournitures énergétiques à l’Europe et y accroître durablement leurs ventes d’armement. À cet égard, l’armement des pays de la zone d’influence américaine est directement contraire à toute indépendance militaire européenne.
L’Europe va donc se passer du gaz et du pétrole russes, mais à quel prix ? Alors que l’approvisionnement russe nous permettait une certaine indépendance à l’égard de l’Algérie et des pays du golfe, nous allons renégocier (évidemment à la hausse) une augmentation de fournitures énergétiques.
Comme nous avions, sous la pression américaine, perdu le marché iranien, notre retrait de la Russie va coûter très cher aux entreprises françaises, dont en premier lieu Renault. Notre industrie de l’armement, quant à elle, va perdre les marchés de l’Europe orientale et même de l’Allemagne. Celle-ci, avec sa rallonge budgétaire de 100 milliards d’euros, va acheter le funeste F 35, accompagné de tout le système intégré d’armement. Il faut imaginer le coût de nos livraisons d’armes sophistiquées à l’Ukraine.
Les conséquences alimentaires de la guerre à l’est seront terribles pour de nombreux pays africains, et risquent d’aggraver plus encore les flux migratoires dont nous supporterons là encore seuls le coût.