Ukraine vs. Russie. Sommes-nous en guerre ?

L’histoire récente nous a habitués, depuis le dernier conflit mondial, aux guerres dites irrégulières ou asymétriques, conflits opposant un pays ou une coalition à une action militaire, rebelle ou terroriste à l’intérieur d’un territoire. Le cas du conflit actuel en Ukraine est-il original, puisqu’il ne constitue pas une guerre classique du côté occidental, s’inscrit-il dans un modèle connu ? À l’origine, cette guerre semble classique, celle d’une nation, la Russie, contre un autre pays, l’Ukraine. Or les buts de guerre prétendus de Vladimir Poutine, la chute d’un régime selon lui fasciste installé à la tête d’un peuple frère, semblent abandonnés, puisque l’envahisseur ne déclare plus que vouloir occuper le territoire des républiques autoproclamées de l’est de l’Ukraine. Les pays occidentaux, de leur côté, apportent une aide financière et militaire massive à l’Ukraine, adoptent de sévères sanctions, tout en ne se déclarant pas en guerre contre le régime russe. 

Les motifs de guerre

Vladimir Poutine a dit engager fin février 2022 une « opération spéciale », dans le but d’abattre un régime qualifié de fasciste, et accessoirement de libérer les républiques séparatistes russophones à l’est. Deux aspects doivent être soulignés. 

Le premier est que le terme « fasciste », que nous ne comprenons pas en l’occurrence, renvoie chez Poutine et les russes à un concept bien précis. C’est celui de la « grande guerre patriotique » du Reich allemand contre l’URSS. L’Allemagne représentait alors un régime fasciste. 

Ensuite, pour la partie russe, le régime de Kiev, installé dans les suites de la « révolution de Maïdan », n’est pas légitime car, largement soutenu par les occidentaux et spécialement les États-Unis, il a chassé du pouvoir Viktor Ianoukovytch au terme d’un processus inconstitutionnel. En effet, si la Rada, le parlement ukrainien, a nommé un remplaçant au président au pays, c’est sans la majorité requise de 75% des députés. Et on sait que les nouvelles autorités ont alors développé une politique particulièrement hostile à la Russie, et spécifiquement à ses minorités russes de l’est du pays, sans que l’occident ne réagisse. D’où le terme de fasciste qui « parle » aux citoyens russes.

Du point de vue de Vladimir Poutine, la politique du régime de Kiev, avec son projet d’intégration à l’Europe communautaire et surtout à l’OTAN, constituait un véritable casus belli. Il est de fait que le dirigeant du Kremlin a commis une faute majeure en se convainquant que le peuple « frère » ukrainien adhérerait à son action. C’est ainsi qu’il était convaincu d’un soutien d’une frange de la population ukrainienne et déclarait au début du conflit que les soldats ukrainiens seraient fraternellement accueillis s’ils abandonnaient les armes. C’est évidemment une erreur majeure de jugement.

Les méthodes militaires russes

La Russie pensait battre sans difficultés particulières les forces ukrainiennes. C’était d’ailleurs l’avis de la majorité des commentateurs occidentaux au début du conflit. Certes l’armée russe dispose de moyens militaires très nettement supérieurs. C’est la raison pour laquelle les forces russes ont employé, au début du conflit, des méthodes d’attaque discriminée, ne provoquant que peu de pertes civiles. Mais, à mesure que ses troupes rencontraient une opposition franche de la population et une réaction adaptée de l’armée ukrainienne, les méthodes ont alors changé. L’armée russe a alors repris une stratégie du fort au faible, c’est-à-dire brutale et massive, avec des bombardements indiscriminés, cause de pertes civiles non négligeables, d’un peu plus de 3 500 à fin avril 2022. Soit dit en passant, des méthodes proches de celles de l’armée américaine et de ses tapis de bombe.

Le conflit a montré que l’armée russe était en fait peu entraînée, manquant en particulier de corps de commandement intermédiaire. Un nombre faible d’officiers subalternes, pas de corps de sous-officiers, ont laissé la troupe sans autorité de terrain, avec pour résultat des débandades caractérisées à la moindre opposition sérieuse. Ajouté à cela une manifeste impréparation logistique, l’enlisement rapide des troupes a été clair.

Les échecs de la Blitzkreig prévue par Moscou ont contraint les autorités russes à abandonner le projet de faire chuter le régime, et à se contenter d’essayer de pérenniser ses faibles acquis territoriaux dans l’est de l’Ukraine.

La réaction occidentale

Les Américains avaient annoncé, dès avant le début du conflit, qu’ils ne s’y impliqueraient pas directement. Pour autant, ils ont développé une politique alliant sanctions économiques très dures et un appui militaire et économique massif au profit de l’Ukraine, suivis par ses alliés occidentaux, en ce compris l’Australie, le Japon et  la Corée.

L’aide militaire américaine est très importante, puisque c’est le système prêt-bail qui vient d’être réactivé à Washington. De ce fait, dès lors que l’ouest de l’Ukraine est accessible aux occidentaux, la fourniture du matériel le plus sophistiqué est aujourd’hui engagée. Secret de polichinelle, on sait que de nombreux conseillers militaires américains et français sont déjà positionnés dans l’ouest de l’Ukraine. Ils forment l’armée ukrainienne à l’utilisation du matériel et des armes fournies. Tout semble montrer que l’Ukraine résistera efficacement à l’armée russe. 

Pour autant, on voit mal, sauf catastrophe de type nucléaire, une extension du conflit, tant l’armée régulière russe montre ses faiblesses, et les occidentaux leur puissance. Même si certains semblent vouloir faire monter le conflit en puissance, tel le Général français Yakovleff, ancien de l’OTAN, la situation devrait se cantonner à sa taille actuelle.

L’enlisement de la Russie en Ukraine, sauf surprise bien improbable, se dessine nettement. Il n’est même pas certain que Moscou réussisse à s’emparer durablement  des républiques du Donbass, tant ses échecs donneront à l’armée ukrainienne le courage et les moyens de reprendre des avantages territoriaux sur ses territoires perdus depuis plus de dix ans. Finalement, sa méthode consiste a occuper un maximum de terrain pour négocier la paix le moment venu.

Un conflit quelque peu inclassable 

Il est difficile de classer les événements actuels dans la typologie des conflits armés. Clairement, c’est une guerre entre deux pays, bien que Poutine se soit gardé de la déclarer, préférant l’annonce d’une opération « spéciale ». D’un certain point de vue, on peut faire un parallèle, sur l’aide occidentale lors du début de la guerre du Vietnam. Alors, la Chine et les républiques populaires d’Europe de l’Est, fournissaient à l’armée populaire vietnamienne des moyens considérables, sans admettre d’implication directe, alors que l’on sait que des chinois pilotaient certains des Mig 17 et 21 engagés.

Dans le cas de la guerre en Ukraine, les occidentaux sont très profondément engagés et ne cachent pas leur implication, sauf en ce qui concerne la présence de leurs militaires sur le terrain. On notera que tous les dirigeants occidentaux traitent Vladimir Poutine d’agresseur sanglant et revendiquent le fait qu’ils cherchent à désolidariser le peuple russe de son chef du Kremlin, et même aujourd’hui sa chute. Prétendre, dans ce contexte, que l’occident n’est pas en guerre avec la Russie n’est pas tout à fait exact. Nous sommes donc dans une configuration originale, où toute la technologie occidentale est présente sur le terrain, sauf ses troupes. On sait en particulier que les U.S.A font bénéficier à l’Ukraine de tout son dispositif satellitaire permettant de localiser les troupes russes. 

Sommes-nous en guerre ? L’article 35 de notre constitution n’a pas été mis en œuvre.  Non seulement la guerre n’a pas été déclarée, mais encore le Parlement actuel n’a pas été consulté. De même, la France n’a pas été mandatée par l’ONU ni n’est officiellement membre d’une coalition.  De très importants moyens militaires sont fourni à l’Ukraine, mais nos hommes ne sont pas engagés. La France est donc clairement impliquée dans une guerre qui est d’un genre récent ; la matière première ce n’est pas l’homme puisque l’on veut « zéro mort » . Ainsi la guerre peut rester un « spectacle lointain télégénique », comme l’exprima Martin Shaw, mais qui nous coûte très cher…

On vous recommande

A propos de l'auteur Thierry Sautier

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.