
Vieux comme le monde, le mode spectaculaire de l’exercice du pouvoir prend aujourd’hui une ampleur exceptionnelle, d’abord à la mesure des médias modernes. Mais cette comédie que nous jouent les acteurs politiques, et au premier chef Emmanuel Macron (EM), n’est plus tolérable. Elle est pourtant rendue possible par un environnement médiatique qui pour l’essentiel se repait d’un spectacle, de jeux de rôle, qui masquent les réalités du pouvoir politique. Le feuilleton d’une élection présidentielle écrite d’avance a été entretenu à l’envi. Examinons avec soin la mise en scène, la salle de spectacle et la distribution des rôles.
Le spectacle est nécessaire à la vie politique
De tous temps, les dirigeants ont soigné leur image. Ce qui est nouveau depuis les années soixante-dix avec l’émergence des médias modernes, c’est la montée en puissance des conseillers en communication devenus indispensables à l’exercice du pouvoir. Ainsi VGE se mettant en scène lors de repas pris avec des Français moyens. François Mitterrand, avec Jacques Séguéla, avait bien compris les enjeux. L’affiche de campagne, la « force tranquille », avec un village et son église en arrière-plan, devait rassurer les Français qui pouvaient être inquiets de voir les communistes entrer au gouvernement.
Chirac puis Hollande n’ont pas exploité la communication comme le fait aujourd’hui EM, qui est indiscutablement un artiste en la matière. On peut même se demander s’il existe un rapport entre le fond de sa politique et le sens de sa communication. Car si l’on fait le bilan de son premier quinquennat, on peut sans se tromper dire qu’il conduit une politique de droite, qui plait aux Français lesquels sont majoritairement à droite.
Les signaux envoyés par EM lors de la composition de son gouvernement, avec notamment Pap Ndiaye, et Élisabeth Borne cette dernière indûment qualifiée de gauche, servent on le sait à désamorcer la montée en puissance de la coalition formée par Jean-Luc Mélenchon (JLM) en vue des prochaines élections législatives.
Des nominations qui confinent à un casting
Pap Ndiaye
Parfaite illustration du « en même temps » qui ne signifie au fond rien, la nomination de l’intéressé comme ministre de l’Éducation Nationale est un signal pour les uns, ainsi en direction de la coalition formée par Jean-Luc Mélenchon, et une provocation pour la droite. Mais au fond, sauf à la marge dans la communication ministérielle, on sait que rien ne changera ; ainsi son chef de cabinet, choisi par EM, Jean-Marc Huart, recteur d’académie et proche de Jean-Michel Blanquer, a bénéficié du meilleur accueil des syndicats d’enseignant. C’est un gage de continuité de la cogestion du ministère par ces syndicats.
On voit mal en quoi cette nomination penche à gauche quand on connait l’esprit conservateur des syndicats de l’E.N.
Élisabeth Borne
La présenter, comme le font des médias singulièrement soumis comme une ministre de gauche confine à la manipulation. Polytechnicienne, certes conseiller de Jospin et Lang, passée par la Sonacotra et la SNCF, elle sera préfet de région, directrice de cabinets ministériels et chapeautera la renégociation, avec Alexis Kohler du cadre réglementaire des concessions autoroutières sans avantage sérieux pour l’État. Après un passage à la direction de la RATP, elle sera ministre des transports, et conduit une réforme de la SNCF en s’attirant l’hostilité des syndicats. Puis enfin elle sera successivement ministre de la « transition écologique et solidaire » puis du Travail, avant d’être nommée premier ministre.
Une chose est certaine, ce premier ministre grand serviteur de l’État appliquera soigneusement les instructions d’un président qu’il est difficile de qualifier à gauche.
La caisse de résonance médiatique
Ce qui est le plus confondant, et même intolérable, c’est cette manière qu’ont les médias actuels de mordre à l’hameçon à tous coups. Il était absolument certain que la nomination Pap Ndiaye provoquerait le buzz. C’est évidemment le but recherché par EM, qui aurait pu trouver à gauche un ministre non clivant.
Les journalistes ou commentateurs sont tombés dans le panneau, réagissant comme face à un chiffon rouge. Ainsi Ivan Rioufol, ou encore Mathieu Bock-Côté, pourtant talentueux, n’ont pas vu que la raison première qui pouvait expliquer cette nomination d’un homme sans expérience ministérielle ou gouvernementale était l’effet recherché. Ils auraient dû concentrer leur analyse sur le coup médiatique d’EM, quand en réalité Pap Ndiaye appliquera la politique qui lui sera ordonnée.
Au fond il s’agit de l’illustration d’une méthode de communication qui n’a pas de lien sérieux avec la réalité de la politique qui sera conduite. Il faut admettre que les médias, sauf exceptions comme notamment le Canard Enchaîné, et à la marge Cnews (qui accueillent les deux journalistes précités…), qui tentent de déminer les discours officiels, se démarquent d’une habituelle servilité.
On sait donc que le pouvoir en France avance singulièrement masqué, tous simplement parce qu’il est en représentation permanente. Regarder l’agenda d’un ministre, c’est s’apercevoir qu’au bas mot la moitié de son temps est consacrée à des déplacements, à des visites, avec ou sans bain de foule. Quand travaille-t-il sérieusement ? Mais c’est son travail d’illustrer et d’expliquer la politique qui est conduite en fait par son cabinet, dont le chef est généralement en contact direct avec le président qui dispose d’un référent, un conseiller, correspondant à chaque ministère.
À ce régime, nous risquons fort d’être confrontés à de récurrentes crises démocratiques, dès lors que les Français n’ont plus en réalité qu’une seule occasion de s’exprimer, lors de l’élection présidentielle. Pendant ce temps, les déficits se creusent, l’administration enfle et la France d’en bas souffre…