
Le bouleversement électoral qui résulte du dernier scrutin législatif en a étonné certains, dont Franz-Olivier Giesbert, évoquant il y a peu l’émergence d’une « chambre ingouvernable ». Or la Chambre n’a évidemment pas à être gouvernée, sauf à adhérer à un modèle et une pratique politiques issus d’une perversion démocratique. Car au fond, comment un événement somme toute normal, l’expression d’une diversité démocratique, peut-il être ces jours derniers considéré comme un tsunami ou un séisme ?
Le fait que la nouvelle chambre place Emmanuel Macron devant une difficulté hors norme illustre un régime politique, la Cinquième République, en fin de vie.
Une environnement constitutionnel français profondément modifié
Un bref rappel historique explique pourquoi et comment nous vivons en France une instabilité institutionnelle qui est à l’origine d’une égale instabilité politique. Jusqu’à 1958, et ce depuis les lois constitutionnelles à l’origine de la Troisième République, la France vivait sous un régime où le pouvoir se situait en réalité au parlement. Les échecs de la Quatrième à résoudre les questions indochinoises et algériennes ont permis à Charles De Gaulle d’associer sa prise du pouvoir à l’élaboration de la Cinquième République.
Cinquième République dont le but déclaré était de mettre fin au « régime des partis », présenté comme un processus pusillanime à l’origine de la faiblesse du pouvoir exécutif. Cette présentation servait à l’époque l’ascension au pouvoir d’un seul homme, Charles De Gaulle. Mais les évolutions ultérieures liées à la pratique du pouvoir gaullien et aux réformes qui sont suivi l’adoption de la constitution de 1958 ont conduit inéluctablement au renforcement du système ultra-présidentiel que nous connaissons aujourd’hui.
L’adoption en 1962 de l’élection du président au suffrage universel, associée à une constitution réduisant le pouvoir des chambres et enfin un mode de scrutin majoritaire ont définitivement assis ce pouvoir présidentiel. Pouvoir quasi absolu, puisque l’absence de réel contrôle parlementaire réduisait ipso facto le rôle d’un premier ministre réduit à un chef de la majorité.
Un régime présidentiel incontrôlé
Notre président de la république ne rencontre aucune opposition sérieuse. Le seul cas d’une expression forte de la chambre des députés interviendra le 17 décembre 1962 lorsque le premier gouvernement Pompidou est renversé par une motion de censure. Plus jamais un tel événement ne se reproduira. Les périodes de cohabitation, situations considérées comme anormales au plan de nos institutions, ont été en réalité les seules occasions où le président devait prendre en compte la composition de la chambre des députés, en nommant un premier ministre compatible. Il s’est agi alors des seules occurrences d’un régime démocratique, dans le sens où le pouvoir exécutif était contraint de tenir compte du résultat des élections législatives.
Mais l’essentiel des commentateurs et des médias ont considéré que la situation de cohabitation était anormale. Ainsi donc la France s’est habituée à un ronronnement institutionnel dans lequel il était normal que le président ait un parlement servile en face de lui, et que son premier ministre se borne à exécuter ses directives tout en gérant sa majorité parlementaire sans grandes difficultés.
Mais l’obligation de procéder à un scrutin législatif dans les suites du scrutin présidentiel a pérennisé et approfondi une soumission quasi automatique du parlement. Jusqu’à ce fameux 19 juin 2022, où les Français, qui avaient élu Emmanuel Macron -tout en estimant selon les sondages qu’ils n’adhéraient pas à sa politique- décidaient d’envoyer à la chambre une représentation nationale ne comportant qu’une majorité relative, en sorte de désaveu.
Les leçons du scrutin du 19 juin 2022
Les commentateurs annonçaient une possible majorité relative pour LREM/ Ensemble, estimant même que la NUPES pouvait obtenir cette majorité. La sous-estimation systématique de la force du R.N dans les sondages et commentaires, la présentation plutôt favorable de la NUPES qui a occupé largement les médias, comme les handicaps du scrutin majoritaire à deux tours n’ont pas, cette fois-ci, réussi à empêcher un succès exceptionnel du parti de Marine Le Pen.
Le R.N est indiscutablement le premier parti d’opposition, avec 89 sièges. On ne peut en effet pas considérer la NUPES comme un parti, avec ses 142 sièges; il s’agit en réalité d’un conglomérat où se retrouvent tous les partis, gros ou petits, de la gauche et des écologistes. La NUPES a ainsi recueilli 32,64% des voix. Et cette coalition a explosé immédiatement après les élections puisque l’appel de Jean-Luc Mélenchon à constituer un groupe parlementaire a essuyé un refus immédiat de ses alliés de circonstance.
La France est donc très majoritairement à droite, puisqu’il ne fait pas de doute qu’Emmanuel Macron, comme Ensemble, sont situés de ce côté-là.
Les perspectives politiques
Nous nous trouvons dans une situation assez comparable à une cohabitation. Car Emmanuel Macron ne dispose que d’une majorité nettement trop faible pour obtenir un accord sur la politique qu’il veut mener. La droite dite classique, L.R et UDI, va se retrouver dans une situation proprement inédite, car elle devra s’allier lors d’un certain nombre de votes, avec le R.N, sans quoi elle sera happée par la centrifugeuse macronienne qui lui a fait si mal. Au reste, toutes les configurations lors des votes seront possibles. Sur les retraites, on imagine aisément une majorité se constituer entre le R.N et la gauche, et on voit mal L.R et l’UDI soutenir intégralement le projet d’Emmanuel Macron.
Le pire n’est jamais sûr. Peut-être, sous les yeux de l’opinion, notre assemblée sera-t-elle capable de développer une certaine culture du compromis. Ce serait là une opportunité pour la représentation nationale de retrouver du crédit auprès des Français, et ainsi rejoindre le concert des démocraties modernes, en abandonnant un archaïsme et une immaturité qui la caractérisaient jusqu’ici.
Alors, que la chambre gouverne !