Présomption de légitime défense et limitation de l’excuse de minorité, des fausses idées

Les débats qui se sont développés cet été à propos de refus d’obtempérer ayant donné lieu à des tirs policiers à l’origine de la mort de délinquants ont donné la parole à ceux qui promeuvent cette présomption spéciale de légitime défense. De même une majorité pense qu’il faut limiter l’excuse de minorité pour les jeunes délinquants. Ces deux propositions sont exorbitantes du droit commun. Le droit actuel est-il suffisant ou faut-il le modifier pour être en phase avec la réalité du terrain ?

La légitime défense dans le monde

Le bon sens commande d’excuser celui qui utilise la force pour se défendre contre une agression contre sa personne. 

En Occident, il s’agit d’une idée moderne puisque car le christianisme prohibait absolument l’usage de la force en défense, même en cas d’agression. Ainsi Saint Matthieu : « Vous avez appris qu’il a été dit : œil pour œil et dent pour dent. Et moi je vous dis de ne pas résister au méchant. Au contraire, si on te frappe sur la joue droite, tends aussi l’autre joue ». Origène ajoutera : « Il ne faut tirer l’épée ni pour faire la guerre, ni pour faire valoir nos droits, ni pour aucun motif, car ce précepte de l’Évangile ne souffre aucune exception ».    

Outre que cette opinion, défendue par l’idée de martyre liée aux premiers chrétiens, est devenue obsolète, le Coran disait déjà : « Donc quiconque transgresse contre vous, transgressez contre lui à transgression égale ».   (II, 194).

La quasi-totalité des pays admettent évidemment la légitime défense, que ce soit au plan légal ou même jurisprudentiel ; on imagine mal juger sévèrement celui qui utilise la violence pour se défendre. 

Il reste que certains pays admettent la légitime défense lors d’atteintes au biens. C’est la fameuse Doctrine du Chateau, qui implique, aux USA, le droit pour tout citoyen d’employer la force quand le domicile d’une personne, propriétaire ou occupant, se défendre contre un intrus, sans pouvoir encourir des poursuites judiciaires, et ce jusqu’à donner la mort. Il ne s’agit cependant que d’une doctrine. Autrement dit, le juge appréciera avec indulgence celui qui tue lors d’une atteinte à sa propriété. Au Canada, le principe est le même. 

La légitime défense en France

C’est l’article 122-5 de notre Code pénal qui traite de la question. « N’est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d’elle-même ou d’autrui, sauf s’il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte » 

Il s’agit en réalité d’une cause d’irresponsabilité pénale, ce qui signifie qu’elle empêche que soit engagée la responsabilité pénale de l’auteur bien que l’infraction soit constituée dans tous ses éléments (éléments légal, matériel et moral). 

Des conditions régissent précisément le régime d’application de la légitime défense. Elle doit être nécessaire : il n’y a aucun autre moyen de se soustraire au danger. Simultanée, dans le sens où la réaction doit être immédiate, ce qui exclut la vengeance, ou même la volonté de stopper la fuite de l’agresseur. Et surtout elle doit être proportionnée à l’agression; autrement dit que la riposte doit être équivalente au moyens employés par l’agresseur. 

L’alinéa 2 du même article du Code pénal ajoute : « N’est pas pénalement responsable la personne qui, pour interrompre l’exécution d’un crime ou d’un délit contre un bien, accomplit un acte de défense, autre qu’un homicide volontaire, lorsque cet acte est strictement nécessaire au but poursuivi dès lors que les moyens employés sont proportionnés à la gravité de l’infraction »  On voit là que les biens, chez nous ne bénéficient pas de la protection de la doctrine du Chateau nord-américaine. 

En France, la situation des policiers et des gendarmes

Les gendarmes bénéficient d’un régime particulier, selon l’article Article R2363-5 du code de la défense : 

« Dans le cas d’une intrusion ou d’une tentative d’intrusion d’un ou de plusieurs individus au sein d’une zone de défense hautement sensible, hormis les cas de légitime défense, le militaire chargé de la protection doit, pour faire cesser cette action, avant de faire usage de son arme, procéder aux sommations suivantes :

1° Il annonce son intention d’empêcher ou d’interrompre l’intrusion en énonçant à voix haute : « Halte » ;

2° Il procède à une deuxième sommation, si le ou les individus n’obtempèrent pas, en énonçant à voix haute : « Halte ou je fais feu » ;

3° Il procède à une troisième et dernière sommation, si le ou les individus n’obtempèrent pas à la deuxième sommation, en énonçant à voix haute : « Dernière sommation : halte ou je fais feu ».

Un récent sondage a révélé que 96% des Français étaient favorables à l’usage de leur arme par les policiers en situation de légitime défense. Rien que de très normal jusque là, puisque c’est le droit de tout citoyen. Mais comment mettre en œuvre une présomption de légitime défense et quelles en serait les conséquences ?

Présumer que les forces de l’ordre sont légitimes à faire usage de leur arme signifierait que dans le doute, à défaut de connaître précisément les faits, il y existerait une immunité particulière fondée sur les seules affirmations du tireur. On voit qu’il y aurait là un privilège anormal. Certes la parole des forces de l’ordre a, à l’inverse de celle des délinquants, une présomption de vérité qui ne cède que devant la preuve contraire, le plus souvent impossible à rapporter. Mais cela concerne la constatation des faits reprochés au délinquant. Il n’est pas possible d’accorder la même force à celle du tireur lorsque policier, on examine les conditions de la légitime défense qu’il revendique. C’est la raison pour laquelle le parquet initie systématiquement une enquête en cas de blessures ou de mort causées par un membre des forces de l’ordre. 

Il ne faut pas céder à une proposition qui aurait des conséquences désastreuses si le policier ou le gendarme bénéficiait d’un tel privilège. On rappellera ici qu’il y a eu 32% de tirs en plus depuis 2017 dans ces occurrences. C’est l’effet direct de la loi du 28 février 2017, « relative à la sécurité publique », qui est venue introduire la notion d’intention dans l’usage de la légitime défense. Désormais, les forces de l’ordre peuvent notamment ouvrir le feu sur un véhicule « dont les occupants sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique ou à celles d’autrui ».

Au reste, les condamnations liée au rejet de la légitime défense policière sont extrêmement rares. Une solution existe, qui ne requiert pas la modification de la loi ; que les forces de l’ordre, comme dans les pays anglo-saxons notamment, soient porteuses d’une caméra. Il mettrait fin à la polémique Mais ce dispositif, simple et peu coûteux, n’est toujours pas généralisé chez nous. 

L’excuse de minorité

Là encore, on est en présence d’une fausse bonne idée, d’autant que la loi prévoit de déjà l’écarter en fonctions des circonstances. 

Le code de justice pénale des mineurs a repris l’essentiel de l’ordonnance du 9 février 1945. Le texte instaure une présomption absolue de non-discernement des moins de 13 ans, ce qui est normal et ne fait pas débat. De plus de 13 ans à moins de 16 ans, on peut appliquer des peines pénales autres qu’éducatives, mais le quantum de la peine encourue est de moitié. Quant on connait les peines prévues par le code pénal, il ne fait pas de doute que les sanctions peuvent être sévères. 

Enfin de 16 à 18 ans, l’excuse de minorité peut être écartée, et les peines pour adultes appliquées. Les démagogues qui occupent les plateaux des chaînes d’actualité considèrent qu’il faut écarter cette excuse pour certains délits graves. En partant du principe que la gravité doit permettre cette exclusion, on ruine le dispositif puisque la personnalisation de la peine est un principe majeur de notre système pénal. 

Or la loi est respectueuse de ce principe puisqu’elle permet, de 16 à 18 ans, d’écarter l’excuse de minorité si le comportement du mineur révèle une capacité de raisonnement mature, comparable à celle d’un adulte, notamment les conditions de la préparation et de l’exécution des faits. 

Nos textes actuels sont donc parfaitement suffisants pour prononcer des peines sévères au mineurs délinquants. Céder au sirènes de leaders d’opinion le plus souvent incompétents en réformant ces textes n’aurait que des conséquences négatives. Laissons donc nos juges les appliquer, même si on peut regretter le dénuement des services de protection des mineurs comme ceux de l‘administration pénitentiaire. 

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A propos de l'auteur Thierry Sautier

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