
La question institutionnelle ne provoque pas de débat particulier en France, alors même qu’il s’agit probablement du problème de fond qui affecte la conduite de nos affaires publiques. Notre système se caractérise en effet par une instabilité récurrente dans le temps long, un déséquilibre des pouvoirs et un déficit démocratique quasi permanent. Que l’actualité politique se concentre essentiellement sur la communication des hommes de pouvoir et leurs relations polémiques signe une faiblesse institutionnelle qui est un mal typiquement français.
L’instabilité constitutionnelle
De la constitution de 1791 à la dernière, de 1958, ce ne sont pas moins de 15 régimes (sans compter le Régime de Vichy) qui se sont succédés. Dans ce maelström, seules deux constitutions ont perduré ; celle résultant des lois constitutionnelles de 1875, et la dernière, actuelle, de 1958. La première se caractérise par un système profondément parlementaire, la deuxième par une présidentialisation très marquée.
Ce qui est frappant, c’est que la France a considéré à plusieurs reprises qu’il fallait changer de constitution à mesure des soubresauts de l’Histoire. De 1789 à 1848, la France oscillera entre régime d’assemblée, autoritarisme, monarchie constitutionnelle et régime parlementaire. Le Second Empire, peu ou prou accepté par les Français, se démocratisera progressivement. La défaite de 1870 l’achèvera brutalement. Puis la Troisième République, qui fut le fruit d’un compromis entre monarchistes et républicains, optera pour la république à la faveur de l’amendement Wallon. Ce régime fonctionnera plutôt bien puisqu’il va accompagner la modernisation et l’industrialisation du pays dans un environnement démocratique acceptable.
Mais la très lourde défaite militaire de 1940 va révéler les faiblesses du régime et conduire à l’adoption en juillet par une très nette majorité parlementaire d’une loi constitutionnelle avec un article unique : « L’Assemblée nationale donne tous pouvoirs au gouvernement de la République, sous l’autorité et la signature du maréchal Pétain, à l’effet de promulguer par un ou plusieurs actes une nouvelle constitution de l’État français. Cette constitution devra garantir les droits du Travail, de la Famille et de la Patrie.Elle sera ratifiée par la Nation et appliquée par les Assemblées qu’elle aura créées. La présente loi constitutionnelle, délibérée et adoptée par l’Assemblée nationale, sera exécutée comme loi de l’État ».
Aucune constitution ne sera adoptée, Philippe Pétain se contentant de créer l’État Français au moyen de 12 actes constitutionnels. On règle là son compte à la Troisième République parlementaire, dénoncée comme la mère de tous nos maux. La République est donc abandonnée pour un État qui conservera cependant la Marseillaise ; ainsi, le 14 Juillet se transforme en hommage aux victimes des deux guerres, avec cérémonie au monument aux morts, minute de silence, sonnerie aux morts, drapeau en berne puis service religieux. On jouera ou chantera l’hymne national lors des grandes cérémonies et les déplacement du chef de l’1État.
Evidemment, le retour de la démocratie et du Général De Gaulle imposeront le régime républicain, l’idée monarchique étant démonétisée, d’autant que le prétendant au trône n’avait en réalité aucun poids, que ce soit dans la personnalité et le rôle d’Henri d’Orléans, qui commit en juillet 1941 un « Message aux monarchistes français », appelant à soutenir le maréchal Pétain, pour ensuite grenouiller à Alger à la recherche d’un adoubement gaulliste improbable, mais auquel il crut.
Evidemment, l’avènement de De Gaulle en 1958 devait s’accompagner d’un régime à sa main, la Cinquième République.
Les exemples étrangers
Les États-Unis sont dotés depuis 1787 d’une constitution qui a certes fait depuis l’objet de 27 amendements, mais aucun n’a substantiellement modifié la nature du régime. Le Royaume-Uni, à partir du principe monarchique intangible, dispose depuis 1782 d’un régime parlementaire authentique, fruit d’un travail législatif, sans même une constitution.
Ce type de régime monarchique parlementaire est courant en Europe ; ainsi outre la Grande-Bretagne, Andorre, la Belgique, le Danemark, le Liechtenstein, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Norvège, l’Espagne et la Suède fonctionnent d’une manière satisfaisante, Monaco et le Saint-Siège étant marginaux.
D’une manière générale, les pays démocratiques étrangers se caractérisent par une stabilité constitutionnelle que nous ne connaissons malheureusement pas. Les démocraties, aujourd’hui, ne devraient pas avoir besoin de changer les règles du jeu institutionnel. Pourquoi la France, qui se prétend régulièrement comme la mère de la démocratie de des droits de l’homme, est-elle affectée d’un régime sinon instable, en en tous cas non satisfaisant ?
Les maux français
Notre constitution actuelle a fait l’objet de nombreuses réformes, au gré des besoins des hommes politiques du moment. Elle était lors de son adoption relativement équilibrée, avec une légère tendance présidentialisme. Aujourd’hui, elle l’est totalement, et c’est son mal essentiel.
On doit relever deux points majeurs, qui sont liés à l’extrême faiblesse des pouvoirs parlementaires et judiciaires.
D’une part le parlement n’exerce plus son pouvoir de contrôle de la politique du gouvernement. En dehors du renversement du ministère Pompidou en 1962 et des dernières élections législatives de 2022, nous disposons d’une assemblée dominée par un parti majoritaire godillot. Les deux cohabitations, sous Mitterrand et Chirac, ont provoqué une certaine neutralisation gouvernementale, mais pas beaucoup plus. Et la situation actuelle est très probablement provisoire. Le problème est que nos concitoyens n’ont généralement pas conscience du rôle que doit remplir le parlement. Les résultats législatifs de 2022 sont liés au fait qu’Emmanuel Macron n’a été élu, comme d’ailleurs en 2017, que sur l’absence d’un opposant crédible, Marine Le Pen n’ayant pas la capacité d’une femme d’état. Les Français, en 2022, ont voulu rappeler qu’ils ne voulaient plus d’un pouvoir présidentiel absolu. Pourtant le système électoral a permis l’émergence d’une majorité présidentielle relative.
D’autre part le pouvoir judiciaire n’existe pas contrairement à ce qu’affirme une majorité de commentateurs. On nous bassine avec les dangers d’un « gouvernement des juges ». Le gouvernement des juges signifierait que les Cours majeures, chez nous le Conseil d’État, la Cour de Cassation et le Conseil Constitutionnel conduisent la politique de la Nation.
Or ce n’est évidemment pas le cas. Certes ces juridictions censurent régulièrement des lois et des actes gouvernementaux, mais c’est leur rôle ! Pour autant ces censures n’entravent pas réellement l’orientation de la politique du pouvoir exécutif. En revanche, il est clair qu’une partie non négligeable de l’action politique est régulièrement empêchée par les règles européennes, et ce sur des points parfois majeurs. Ainsi par exemple la gestion de l’énergie (couplage des prix carburant et du gaz), les droits de douane, les règles de la concurrence et le statut des étrangers sont totalement dépendantes de décisions ou règles européennes.
Lorsque le sage montre la lune, l’imbécile regarde le doigt.. Dénoncer les juges c’est ignorer qu’ils appliquent des lois.
Seul le pouvoir législatif, et à la marge le pouvoir judiciaire, pourraient entrer en dissidence et nous libérer des règles qui attentent à notre souveraineté nationale. Nous n’avons rien à attendre, sur ces questions de nos présidents de la république qui ont été jusqu’à aujourd’hui partisans de l’Europe.